L'EUROPE
AUX
EUROPEENS
BRISONS LES
CHAINES DE YALTA !
SUPPLEMENT A LA REVUE ORIENTATIONS Numéro 10 Novembre 1984
Le néo-libéralisme, pâle copie du libéra-
lisme historique, est à la mode.
Après les tristes expériences de l'écono-
mie (mal) dirigée de la social-démocra-
tie ou la débâcle économique du socia-
lisme des Pays de l'Est, une quantité
d'économistes, de pseudo-vulgarisateurs,
de journalistes plus ou moins dans le
vent ne jurent plus que par la panacée :
"le libéralisme". Chaque hebdomadaire,
du Point parisien au Pourquoi Pas? bruxel-
lois, du Vif au Nouvel Obs', a annoncé
et commenté la venue du messianisme
nouveau.
Les yeux braqués vers les USA (vieille
et mauvaise habitude), nos demi-écono-
mistes dem i -journalistes, incapables
de différencier l'Amérique de l'Europe
chantent les mérites, les réussites des
"reaganomics". Pourtant, si les remèdes
américains ont donné un coup de fouet
indiscutable à l'économie d'outre-Atlanti-
que, rien ne peut faire croire qu'il en
serait de même pour une Europe balkani-
sée, mutilée, pressurée tant à l'Est qu'à
l'Ouest.
Posons-nous quelques questions préalables
à ce propos.
1 .
Tout d'abord, les Etats-Unis de REAGAN,
de NIXON et même de CARTER sont-
ils "libéraux" ? Peut-on qualifier de "libé-
rale" une nation protectionniste se défen-
dant systématiquement contre les concur-
rents étrangers, actifs en de nombreux
domaines où leurs productions pourraient
être mises en cause ?... Et, de leur point
de vue, ils ont indiscutablement raison.
2 .
Ensuite, deuxième question, peut-on
comparer un immense territoire uni
à une Europe morcelée par les guerres
civiles intereuropéennes et par l'assassi-
nat prémédité à Téhéran, à Yalta et
à Potsdam. L'empire yankee est peuplé
de non enracinés, d'immigrants de date
récente ou plus ancienne qui ont pérégriné
d'Est en Ouest, de Septentrion en Midi
selon leurs intérêts et l'appât du gain.
Les Américains qui n'adhèrent pas à
la mobilité fébrile de la civilisation yan-
kee, forment le plus souvent des ghettos
où la misère est insoutenable et où la
délinquance est pléthorique (Cf. Vance
PACKARD, A Nation of Strangers, New
York, 1972). En Europe, tout au contraire,
pas de population erratique, le sol des
aïeux est primordial et les intérêts,
même néfastes au voisin, priment. Nous
en voulons pour preuve économique les
vignerons du Sud de la France qui s'en-
têtent à produire des vins médiocres
et n'acceptent pas la concurrence italienne
ou espagnole, allant jusqu'à brûler des
camions citernes qui amènent vers la
France des vins meilleurs et moins chers.
Et, pour rester dans le même domaine :
les Ouest-Allemands qui interdisent par
des normes méticuleuses l'entrée de
bières étrangères. De tels exemples
pullulent en Europe. Les Américains
jugent la réalité selon d'autres critères,
l'attachement au sol leur importe peu.
Us vont et se fixent temporairement
là où leur vie peut être meilleure, où
le profit est maximal. Nos racines particu-
larités sont, même inconsciemment,
même à l'heure de l'arasement générali-
sé des cultures populaires, extrêmement
profondes.
3.
Enfin, les Etats-Unis ont ce très grand
avantage d'avoir établi une constitution
donnant des pouvoirs forts, quasi régaliens,
au Président démocratiquement élu.
Cette constitution s'appliquait à un pays
où tout restait à forger, où des territoi-
res en friche devaient être développés,
où les immensités territoriales devaient
être valorisées. Le peuple américain
a donc d'emblée une chance inouïe : laisser
à ses représentants élus (Chambre et
Sénat) le droit de discuter (ou de discu-
tailler) mais d'avoir un chef ne représen-
tant d'ailleurs, en règle générale, que
30% de la population, mais capable et
autorisé à prendre des décisions immédia-
tes, dans les grandes circonstances et
sans interférences trop prononcées des
politiciens. C'est en ce sens que Raymond
ARON qualifiait les Etats-Unis de "Répu-
blique impériale" (Cf. R. ARON, République
Impériale. Les Etats-Unis dans le monde
1945-1972, Calmann-Lévy, Paris, 1973).
Les Américains semblent retrouver aujour-
d'hui un esprit nationaliste ou plutôt
national-mondialiste, comme le souligne
avec justesse et pertinence Jacqueline
GRAPIN dans son dernier et remarquable
ouvrage Forteresse America (Grasset,
Paris, 1984). Cet esprit, ils étaient en
train de le perdre à la suite de l'aventure
vietnamienne. La gifle que KHOMEINY
infligea à CARTER a réveillé le républica-
nisme impérial et national-mondialiste.
Mais, nous autres Européens ne sommes
pas Américains et les remèdes d'outre-
Atlantique ne sont pas les nôtres. Leur
libéralisme de façade, qu'admirent béate-
ment journalistes et politiciens de droite,
ne peut s'adapter en Europe. Nos néo-
économistes ne veulent pas admettre
que nous vivons sous la botte économique
et militaire des USA, situation qui ne
correspond nullement à l'optimum pacifi-
que et idyllique dont rêvaient les pères
fondateurs du libéralisme. Les néo-libéraux
choisissent de revenir au vieux principe
du "laissez-faire" dit libéral, option qui
ne favorise finalement que la nation
la plus développée, la plus riche du globe:
hier l'Angleterre, aujourd'hui les Etats-
Unis (Cf. Thierry MUDRY, Friedrich
List : une alternative au libéralisme,
in ORIENTATIONS n°5). Les adeptes
naïfs du néo-libéralisme ne voient pas
que cette politique, davantage libéral-
marcantiliste que proprement libérale,
ne pourra que mieux nous asservir aux
grands groupes financiers et transnatio-
naux, meilleurs instruments de la domina-
tion des USA en Europe de l'Ouest ou
en Amérique latine, continents démembrés
et parcellisés par les intérêts petits-
nationalistes, par les vues égoïstes de
chacun, par les querelles économiques
soigneusement entretenues lorsque cela
s'avère nécessaire par le "Big Brother"
d'outre-mer.
Dans ces conditions, les meilleures inten-
tions libérales ne peuvent mener qu'à
l'anarchie qui disloquera davantage encore
nos économies. N'ayons pas peur de le
dire, nous préférons le mot de "libertés"
à l'appellation incontrôlable de "libéra-
lisme". Résolument nous préférons les
libertés concrètes (le pluriel n'est pas
innocent 1) aux mirages messianiques,
marxistes-léninistes avant-hier, gauchistes
hier ou néo-libéraux aujourd'hui. Un
vrai "libéralisme" (c'est-à-dire un authen-
tique libéral-mercantilisme) ne peut
se concevoir, en Europe, que sous un
ensemble de conditions absolument détermi-
nantes :
1) une Europe unie neutre, forte et armée,
ne dépendant d'aucun bloc mais entrete-
nant avec chacun de ces blocs des rela-
tions d'égal à égal.
2) une Europe qui se donnera un véritable
gouvernement, géré par un chef respon-
sable, pourvu de pouvoirs décisionnaires.
Cette Europe restera démocratique et
laissera à la population et à ses élus
le droit et le devoir d'aménager la vie
de leur région comme bon leur semble,
tout en respectant les décisions prises
par le gouvernement chargé de maintenir
la position de l'Europe dans le concert
des grands ensembles continentaux auto-
centrés de demain.
3) une Europe où les régions, entités
concrètes, auront fait craquer le moule
des vieilles nations à l'égoïsme désuet
et au jacobinisme étriqué.
4) une Europe dont les gouvernants auront
un "projet", un pain global à courte,
moyenne et longue échéance et une liberté
de diriger sans avoir constamment des
comptes à rendre à des "partitocrates",
plus enclins à adhérer à un jeu de convic-
tions stériles qu'à prendre des responsabi-
lités concrètes.
5) une Europe capable d'imiter à son
profit l'impérialisme américain, une
Europe qui facilitera l'action des agents
économiques, des producteurs par rapport
aux consommateurs passifs à l'intérieur
mais qui sera nécessairement protection-
niste à l'encontre des produits extra-
européens.
6) une Europe ouverte sur les Pays du
Grand Nord et au bassin méditerranéen,
s'étendant du Groenland et des Açores
aux confins de l'Empire russe.
7) une Europe sociale, humaine, à l'avan-
cée des sciences ; une Europe revenue
des mièvreries laxistes dont les jeunes
générations ne veulent plus (pas plus
que les jeunes électeurs de REAGAN) ;
une Europe mettant en valeur son esprit
d'unité, son sens de la communauté d'inté-
rêts et de valeurs, de sa communauté
de destin
Dans un contexte comme celui-là, toutes
les politiques économiques sont possibles
et surtout rentables. C'est une politique
des devoirs ET des droits et non celle,
trop insidieusement prônée pour nous
affaiblir, des droits uniquement, des
seules revendications irresponsables.
Les "libertés" ne peuvent donc se conce-
voir qu'internes à une Europe forte,
décisionnaire et libérée des blocs.
Faudra-t-il dès lors attendre passivement
que l'Europe se fasse, même au gré de
puissances extérieures à son territoire ?
Non 1 La passivité, la torpeur n'ont jamais
rien résolu. Nous devons prendre notre
destin en mains. Nous devons réformer
nos partitocraties de fond en comble,
partitocraties qui ont récemment et
soudainement découvert les vertus du
néo-libéralisme. Sinon, nous irons droit
vers la fellahisation (SPENGLER 1), vers
l'ère du vide, vers une main-mise toujours
plus pesante des blocs voire, par un sur-
saut pathologique et inutile des derniers
instants (style LE PEN) vers une ou des
dictatures nationalistes crispées dans
chaque nation ou, encore, vers un condomi-
nium franco-allemand, solution néo-carolin-
gienne où la France sera tutrice et le
reste réservoir de richesses et de chair
à canons, appendices décoratifs. Solution
qui restaure l'artifice napoléonien de
la Confédération du Rhin, ce condominium
franco-allemand hypothétique ne résoudra
que très partiellement le problème euro-
péen et pas du tout la question allemande.
En outre, il évitera l'inclusion du monde
slave à l'Europe des siècles à venir.
Certes, il convient de nettoyer d'abord
devant notre porte, de dépoussiérer nos
pays, de remplacer la partitocratie néo-
libérale par une démocratie directe et
décisionnaire qui donnera la parole aux
peuples et non à des "représentants"
qui ne représentent que des partis qui,
eux-mêmes, ne représentent plus rien,
si ce n'est les intérêts d'un système
abstrait dont les lois ne sont pas celles
de la Vie. Créons donc des régimes authen-
tiquement "populistes", prêts à s'unir
avec d'autres régions européennes, elles-
mêmes dégagées des régimes partitocra-
tiques.
Alors dès la réussite de cette symbiose,
dès l'avènement d'une Europe forte,
neutre (blockfrei 1), décidée et conscien-
te deson destin, dès la libération de
notre continent de ses démons internes
et de ses oppresseurs externes, nous
pourrons être tous de vrais champions
de la "liberté", de toutes les "libertés".
Jean E. van der TAELEN.
VOCABULAIRE
CONCEPTION-DU-MONDE
"Ensemble des valeurs, des idées, des
idéaux et des interprétations du réel,
fédérés et organisés par un sens, implici-
tes et explicites, affectifs et intellectuels,
propres à une communauté, à un peuple,
a un système idéologique ou religieux".
Proche des vocables vue du monde et
vision du monde, qui en désignent plutôt
l'aspect affectif et intuitif, la conception-
du-monde forme, de notre point de vue,
le soubassement des cultures et des
formes de civilisation. Lieu où agit l'in-
conscient collectif, la conception-du-
monde est directement influencée par
la biologie et l'anthropologie du groupe
qui la porte, et elle constitue, pour nous,
la véritable infrastructure des institu-
tions, du politique, de l'économie, etc...
(et non pas l'inverse comme dans les
schémas marxistes ou libéraux où elle
n'est perçue que comme une superstructu-
re). Une même conception-du-monde
peut donner lieu à différentes idéologies,
qui peuvent s'opposer, mais qui sont
l'expression du même projet historique
et social. Le concept de concept lon-du-
monde permet donc de mettre en lumière
la parenté fondamentale des idéologies
occidentales, apparemment antagonistes,
mais dont les postulats (individualisme
et égalitarisme) sont communs.
Deux conceptions-du-monde nous semblent
s'affronter dans notre monde depuis
bientôt deux millénaires : l'une, christiano-
morphe, c'est-à-dire centrée autour
de la sensibilité et de l'enseignement
du judéo-christianisme, a donné lieu
à toutes les idéologies égalitaires et
fixistes aujourd'hui dominantes ; l'autre,
d'origine indo-européenne, de sensibilité
païenne, bien que politiquement et histori-
quement censurée, s'est constamment
exprimée dans la culture, la philosophie
et l'art européens.
Avec NIETZSCHE, elle a accédé à la
formulation consciente. Nous en sommes
aujourd'hui les héritiers sans en détenir
le monopole puisque cette vision, perçue
et traduite en mots dans l'oeuvre de
NIETZSCHE, est présente dans l'incon-
scient collectif. Notre rôle est d'en être
l'incarnat ion- modèle et d'en tirer des
idéologies qui pourront éventuellement
un jour s'opposer en se complétant.
D'en susciter des formes de culture.
La chance et la force, en cette fin de
siècle, de cette conception-du-monde
est son adaptation à la modernité et
à l'esprit scientifique qu'elle a d'ailleurs
puissamment contribué à forger.
VVVVVWWWWVWWV
MET APOLITIQUE
"Diffusion dans la mentalité collective
et dans la société civile de valeurs et
d'idées (ou d'idéologèmes) en excluant
tout moyen ou toute visée politicienne,
comme tout étiquettage politique, mais
selon une visée de Grande Politique,
c'est-à-dire de recherche d'un impact
historique".
La métapolitique se situe en dehors
et au-dessus de la politique politicienne,
laquelle est devenue théâtrale et ne
constitue plus le lieu du politique. La
stratégie métapolitique vise à diiffuser
une conception-du-monde de sorte que
les valeurs de cette dernière acquièrent
dans l'histoire puissance et pouvoir à
long terme. Cette stratégie est incompa-
tible avec les ambitions bourgeoises
de détenir le pouvoir, d'être "dans" le
pouvoir à court terme. Polyvalente,
le métapolitique doit s'adresser aux déci-
deurs, aux médiateurs, aux diffuseurs
de tous les courants de pensée, auxquels
elle ne dévoile pas forcément l'ensemble
de son discours. La métapolitique diffuse
aussi bien une sensibilité qu'une doctrine ;
elle se fait culturelle ou idéologique
selon les circonstances. Sa caractéristique
première, néanmoins, compte tenu de
la sociologie actuelle du pouvoir culturel,
est de "frapper à la tête", de refuser
de se neutraliser dans le vulgaire et
les médias de masse. Hauteur de vue,
souplesse, efficacité pratique et dureté
du "discours interne" (qui se distingue
du discours externe, lequel ne trahit
nullement le discours interne, mais n'en
dit pas "tout" et en adapte la formulation)
sont les quatre qualités de la stratégie
métapolitique. Cette stratégie constitue,
au plan de la méthode, notre choix fonda-
mental. Elle est la base de notre action.
^WWWWWWWWW
LIBERTE
"Faculté d'augmenter son pouvoir, de
multiplier ses capacités d'action sur
le réel et conquérir par là une autonomie
sur les déterminismes, qu'ils soient généti-
ques ou sociaux".
Cette définition s'oppose à la conception
individualiste et niveleuse de la liberté,
qui la considère comme une licence passive,
comme une absence de contrainte. Cette
dernière conception de la liberté en
est en fait l'exact opposé de la nôtre.
Pour se libérer des déterminismes, l'hom-
me a besoin au contraire de la discipli-
ne d'une culture, c'est-à-dire de l'exercice
d'une contrainte, à commencer par celle
qu'il exerce sur lui-même par sa volonté.
La conception libérale de la liberté est
régressive : elle produit l'homme domesti-
qué, involué que nous connaissons, qui
abdique son autonomie au profit d'un
système social paternaliste. La liberté
n'est donc nullement un "droit" comme
le voudrait la philosophie des droits
de l'homme; elle est conquête .
De ce fait, la "Liberté" comme absolu
est un concept totalitaire qui ne recouvre
pas de réalité. La liberté est plurielle
(par exemple parlons des libertés politi-
ques, comme autant de droits conquis,
garantis pas la^ force et ayant des contre-
parties). Génétiquement, l'homme naît
dans un état de grande dépendance,
mais sa déprogrammation, son ouverture
au monde, en font un être virtuellement
"libérable" ou virtuellement plus esclave
encore qu'un animal. Plus est grande
la liberté - c'est-à-dire l'éventail d'actes
faisables par un homme à la suite d'un
apprentissage culturel discipliné - plus
importante est la contrainte subie. La
liberté passe d'abord par la maîtrise
de soi. Elle est donc, aussi bien en ce
qui concerne les individus qu'en ce qui
concerne les peuples, le privilège des
forts.
LA GRECE et LE DECLIN
Le propre de la Grèce a toujours été
de réfléchir, ou tout au moins de tenir
un discours sur son "déclin”. Dans la
mesure où l'âme grecque est la matrice
de l'esprit européen, on ne s'étonnera
pas que le propre de l'Europe et de sa
pensée soit aussi de se pencher constam-
ment sur l'idée de déclin, comme le
rappelle Julien FREUND (1).
Mais ce que j'aimerai dire ici, c'est
que depuis que la Grèce vit, comme
les autres pays développés, à l'heure
de l'hédonisme - j'entends l'hédonisme
marchand de la société de consommation
de masse et non l'hédonisme païen de
notre tradition - nous autres Grecs avons
malheureusement cessé de nous poser
la question du déclin.
La gauche se contente de dénoncer l'exploi-
tation économique subie par la Grèce,
sa situation périphérique et les méfaits
des multinationales. Quant à la droite,
elle ne vise qu'à l'augmentation quantitati-
ve du niveau de vie par l'intégration
plus poussée de la Grèce au monde capi-
taliste. Je me demande alors si le tout
récent déclin, en Grèce, du discours
sur le déclin, ne constitue finalement
pas un signe inquiétant de déclin. Ce
dernier fait ne dispense en tout cas
nullement une nation comme la Grèce,
l'Hellas, enracinée dans une aussi longue
durée historique, de reprendre une ré-
flexion sur le déclin. Il me semble qu'il
est vital d'opérer ce retour.
Mais qu'est-ce que la Grèce ? Elle peut
être envisagée soit comme espace-patrie
soit en tant que communauté physique
du point de vue synchronique soit, diachro-
niquement, comme un peuple englobant
les vivants et les morts soit, enfin, comme
Idée. Le déclin pour la Grèce pourrait
alors résulter ou bien d'une perte d'identi-
té ethno-culturelle ou bien d'une inadapta-
tion aux circonstances extérieures (rap-
pelons-nous la Cité antique qui cessa
de représenter l'espace optimal) ou bien
encore de la combinaison d'une perte
d'identité et d'une inadaptation au monde
extérieur. Ce dernier cas est fréquent
dans le Tiers-Monde occidentalisé. Quant
à la patrie-espace hellénique, ce qu'on
appelle la catastrophe d'Asie Mineure
de 1922 (2) a abouti à l'élimination de
la présence physique et culturelle helléni-
que qui a ainsi disparu de la côte orientale
de la Méditerranée. Il s'agit, pour nous
autres Grecs, d'un événement colossal
puisqu'il a signifié l'extinction d'une
présence deux ou trois fois millénaire.
Envisageons à présent la "communauté
hellénique", ce que nous appelons tradition-
nellement en Grèce la "Nation" ou la
"Race" (phili) c'est-à-dire le genos hellé-
nique. Ceux qui privilégient la persistance
de l'identité au détriment de l'adaptation
défendent une conception insulaire de
la Grèce. Cette dernière est alors regar-
dée comme le pays d'une seule race,
d'une seule langue, d'une seule religion,
comme l'ensemble de toutes les choses
spécifiques à la seule patrie hellénique.
Dans cette perspective, même l'idée
européenne, même l'intégration à l'Europe
telle qu'elle est, pourraient constituer
pour la Grèce un terrible danger aux
yeux des tenants de cette conception
héroïque et obsidionale de la communauté
hellénique, conception néanmoins très
fréquente ici et au demeurant assez
justifiée. Il va sans dire qu'actuellement
où l'espace, où les espaces optimaux
ne sont plus ceux de l'Etat-Nation et
surtout d'un petit Etat-Nation, cette
vision des choses peut signifier, pour
la Grèce, le déclin par étouffement,
par inadaptation.
De ce fait, qu'en est-il alors de la concep-
tion européenne de la Grèce. La Grèce
peut-elle et doit-elle faire partie de
l'Europe ? Il faut avouer que les argu-
ments avancés en faveur de l'intégration
européenne de la Grèce, surtout par
la droite libérale et technocratique,
se limitent principalement à des raisons
de pure économie. Or, il s'agit de savoir
quelle est cette "Europe" dont ferait
partie la Grèce. D'un côté on peut penser
que la Grèce est proche ethno-culturelle-
ment du reste de l'Europe et que cette
dernière est fille de la Grèce, qu'elle
plonge ses racines culturelles dans le
passe grec. Dans ce cas, la Grèce, envisa-
gée comme culture et idée, comme socle
identitaire par les autres nations d'Europe,
retrouverait, en rejoignant l'Europe ses
propres "enfants". Comme Jason et les
Argonautes, nous partirions à la recherche
de notre Toison d'Or, l'Hellas, en nous
intégrant physiquement et politiquement
à l'Europe. Mais une telle hypothèse
n'apparaît valable et pertinente que
si l'Europe garde ce qui la constitue
en propre, c'est-à-dire sa culture et
son psychisme hellénique. Si tel n'était
pas le cas, on assisterait au paradoxe
tragique suivant : la Grèce, matrice spiri-
tuelle de l'Europe, perdant son hellénité
(c'est-à-dire au fond l'essence de l'européa-
nité) en s'intégrant à l'Europe. Autrement
dit, une Europe déshellénisée déseuropéani-
serait la Grèce en l'accueillant '. Et
c'est précisément ce qui risque de se
produire si l'Europe, au lieu de s'envisa-
ger comme européenne, c'est-à-dire
comme héritière de la Grèce, s'envisa-
geait en tant qu'Occident.
Une Europe qui se considère d'abord
comme "occidentale" en effet, se définit
principalement par un profil économique
et non par une culture, par des caracté-
ristiques fluides destinées à être exportées
et diffusées hors de l'Europe historique
selon une logique universaliste. Dans
ces conditions, la Grèce ne saurait se
laisser "européaniser" sans risquer de
subir un ethnocide ou un génocide. Il
va sans dire que la conception "Europe=Oc-
cident", c'est-à-dire l'interprétation
de l'Europe comme simple espace occiden-
tal, conduirait aussi cette dernière au
Déclin, au déclin de l'identité.
Un tel génocide culturel ne toucherait
d'ailleurs pas exclusivement les nations
historiques actuelles de l'Europe, comme
la France, mais toutes les autres nations
du monde absorbées par le système Europe-
Occident. Euphorisées par le mirage
économique de l'Europe-Occident, des
nations dotées d'une tradition et d'une
originalité puissantes risquent de se laisser
intégrer à un tel ensemble et à y trouver
le spectre de leur déclin. De ces mixtu-
res exotiques et universalistes, tout
le monde et toutes les communautés
y perdent et seul le "Système" y gagne...
Mais le mal n'est-il pas déjà en cours ?
Y a-t-il encore place dans ce monde
pour des nations à longue mémoire ?
Il est possible d'enrayer le déclin identitai-
re, mais cela suppose une lutte héroïque.
L'exemple d'un tel héroïsme nous vient
d'Israël. Aucun peuple n'est plus respecta-
ble pour sa fidélité héroïque à son identité
et à sa longue tradition culturelle et
religieuse. La Grèce-en-tant-qu'Hellade
(la Grèce-Hellas ou, mieux, l'Hellade)
et Israël co-représentent deux exempla-
rités, certes profondément différentes
mais aussi profondément proches. L'Hella-
de et Israël portent et cristallisent chacun
deux philosophies, deux Idées, deux vues-
du-monde, certes antithétiques entre
elles, mais représentatives de deux Na-
tions, de deux histoires, de deux destins
d'une durée et d'une signification absolu-
ment exceptionnelles. Selon Parsons,
l'Hellade et Israël sont les deux seules
"sociétés-matrices". La profondeur historia-
le de l'hellénisme et du judaïsme en
tant que les deux "solutions" proposées
à l'humain, en tant que les deux formes
sacrales et politiques entre lesquelles
il faille choisir, témoigne de la pertinen-
ce de cette remarque de Parsons.
C'est bien pour cette raison que la Grèce-
Hellas se doit à elle-même la même
intensité de mobilisation et de vigilance
pour écarter la menace du déclin identitai-
re que celui dont a fait preuve Israël.
Un tel effort ne peut être que bénéfi-
que pour le monde et l'ensemble des peu-
ples. Des nations fidèles à leur longue
mémoire constituent des points d'ancrage
et de ralliement, des bornes d'enracine-
ment, des données stabilisatrices dans
un monde par trop fluide et incertain,
dans un monde trop mouvant.
Que l'un -Israël - fixe par ses racines
les sables du désert qui la limite et
que l'autre - la Grèce-en-tant-qu'Hel-
lade - par ses rocs dressés face aux
lames de l'Egée apaise et dresse la mer
qui l'entoure, cette mer qui est l'ultime
frontière de l'Europe.
Que le Dieu d'Israël veille sur son peuple,
le peuple du désert, et que les dieux
de la Grèce veillent sur leurs peuples,
les peuples de la mer et de la forêt,
les peuples d'Europe. Mais nos dieux
n'accorderont protection à leurs peuples
que s'ils ne préfèrent pas à leur appel
celui de l'Occident.
Jason HADJIDINAS.
Recteur de l'Université d’Athènes .
Ce texte est la communication finale
d’un colloque tenu en octobre 1984 avec,
pour thème y Le déclin .
NOTES
( 1 ) Julien FREUND 9 célèbre professeur
de politologie à Strasbourg f vient de
faire paraître aux Editions Sirey (Paris)
un ouvrage intitulé La décadence . Cet
ouvrage est distribué en Belgique par
la librairie juridique Bruylant (Bruxelles).
(2) Jason HADJIDINAS évoque ici la
guerre gréco-turque de 1922-1923.
4
LES RACINES de la MODERNITE
L'histoire de l'Europe se confond à l'histoi-
re des maîtrises que ce continent n'a
eu de cesse d'opposer à chaque défi,
comme autant de déploiements nouveaux
de son originalité et de son identité.
Or, aujourd'hui, l'Europe est menacée
dans sa substance, menacée dans les
structures mêmes de son identité. L'Euro-
pe risque désormais une modification
fatale de son essence, de ces appartenan-
ces organiques : l'Europe risque de ne
plus être elle-même. L'Europe est mena-
cée de déracinement.
L'alternative de notre Nouvelle Ecole
propose le réappropriement de nos origi-
nes pour neutraliser la menace de déraci-
nement, en même temps qu'elle tirera
de ce fonds commun, de cette spécifici-
té réveillée, la solution moderne de la
crise qui secoue notre société. Cette
affirmation nécessite, à cet endroit,
une définition des notions de modernité
et de crise.
la modernité se confond à la poésie .
Elle est pression sur l' Histoire en même
temps que l'expression d'une solidarité .
Toute tradition véhicule un substrat,
une essence enracinée, qui traverse le
temps et modèle le monde, immuable
dans sa spécificité, identique dans ses
structures mais perpétuellement nouvelle
dans sa forme : la tradition véhicule un
substrat qui change sans se modifier.
Ce substrat constitue le legs organique,
spécifique de chaque peuple et de chaque
culture, la matrice écologique et biologi-
que, originelle et originale de leur façon
d'être-au-monde. Mais aussi le lieu mythi-
que où s'entrelacent l'instinct du vouloir-
être et la conscience du vouloir-faire
dans la même volonté du devenir. Là
est le lieu générique de leur volonté
de puissance, lieu permissible de leur
histoire et de leur complétude (Vollen-
dung), lieu immémorial où se rejoignent
le début et la fin, le passé et l'avenir
car là est le lieu d'où saille l'origine
par où se dévoile le monde et dont dépend
le destin. HEIDEGGER dit : "Ce qui est
à l'origine demeure toujours un à-venir,
demeure constamment sous l'emprise
de ce qui est à venir". Et encore î "Le
passé est toujours avenir" ("Herkunft
aber bleibt stets Zukunft''). Là est le
lieu de la "puissance pré-formée" dont
parle Ernst JüNGER, puissance virtuelle
que l'action créatrice de l'homme "met
en forme", à chaque génération, la faisant
s'éclore dans une epiphanie de figures
et d'idées, de structures et de concepts.
De cette forme d’innovation, de ce buis-
sonnement de puissance, de ce renouvelle-
ment des énergies, de cette mobilisation
permanente des volontés fondatrices,
de la réactivation incessante de cette
virtualité enfouie, immobile, dans le
substrat organique d'un peuple, naît,
précisément, le renouvellement, la re-
création, c'est-à-dire l'originalité. De
cette imbrication d'héritage, de forces
et de métamorphose, naît, précisément,
la ^ modernité, c'est-à-dire, en fait, la
poésie quand on se souvient avec HôLDER-
LIN, POUND, BENN et HEIDEGGER
que toute poésie authentique est d'abord
fondatrice, créatrice de la forme et
de l'idée : "Ce qui demeure, les poètes
le fondent" (HôLDERLIN). Nous l'appelle-
rons modernité de consistance par oppo-
sition à la modernité d'apparence que
véhiculent certaines modes épisodiques
ou certains snobismes.
Toute modernité authentique est donc
appelée à véhiculer une détermination
nouvelle des valeurs, c'est-à-dire une
épiphanie de puissance capable de mobili-
ser un peuple sur l'axe d'une poussée
créatrice qui imprime un sens nouveau
à la vie. Toute modernité authentique
est donc fondatrice d'une conception
du monde et donnatrice de sens. Ce
qui signifie que toute modernité authenti-
que sera à la fois le lieu à l'intérieur
duquel les hommes font l'Histoire et
le lien par lequel les hommes, mobilisés
à la réalisation d'un but commun, vont
pouvoir se solidariser. A la pression qu'elle
exerce sur l'Histoire et à l'expression
communautaire qu'elle réinvente, on
départagera la modernité de consistan-
ce de la modernité d'apparence, la moder-
nité authentique de la mode ou du sno-
bisme.
La modernité organique fonde un âge
nouveau de la culture .
A l'intérieur de la perspective existentia-
liste, nominaliste et différencialiste
où nous nous situons, il ressort que la
modernité de consistance sera organique
ou ne sera pas. Nous savons, en effet,
que de tout enracinement saille un hérita-
ge en perpétuel devenir. Ce qui signifie
que plus une modernité se rattachera
à un héritage, plus elle maximalisera
son authenticité et son originalité. Allons
plus loin : la modernité organique ne
modifie pas le substrat, l'essence enraci-
née qui véhicule l'état d'esprit d'un peu-
ple, son approche et son interprétation
mentale des forces vitales, naturelles,
cosmogoniques, c'est-à-dire sa façon
caractéristique de s'immerger dans le
monde ou de le refuser, de le dominer
ou de s'y soumettre, de le sacraliser
ou de le relativiser. En ce qui nous concer-
ne, il s'agit de l'état d'esprit indo-euro-
péen, que nous sommes libres de renier
mais que nous ne pouvons pas nier parce
qu'il nous fonde dans le monde et dans
l'Histoire.
Cet esprit est enraciné dans la volonté
de puissance, esprit faustien qui sublime
le risque et dont nous retrouvons le fil
conducteur, ininterrompu malgré l'acci-
dent idéologique du christianisme, depuis
les premières manifestations culturelles
des Indo-Européens, manifestations promé-
théennes par essence, jusqu'à la conquête
actuelle du cosmos. C'est cet état d'esprit,
identique à lui-même à travers tous
les bouleversements de l'Histoire, des
choix politiques opposés, qu'il s'agit,
aujourd'hui, de tenir éveillé. Cet esprit
qui replonge la vie dans l'immanence,
c'est l'esprit de l'être-dans-le-monde
(In-der-Welt-Sein) pour employer le langa-
ge d'HEIDEGGER. La modernité consiste
a assumer cet héritage - donc cet es-
prit - en le sublimant, c'est-à-dire en
s'y reliant dans le moment même où
elle le dépasse en réinventant une forme,
un ordre, une structuration, dans le mo-
ment même où elle re-crée une table
des valeurs qui ré-adapte, qui ré-installe
l'homme dans son nouveau destin. La
modernité organique annihile par consé-
quent jusqu'à l'idée d'un quelconque
repli sur le passé, d'un quelconque mouve-
ment de réaction qui retourne au passé
chercher la sécurité des anciennes va-
leurs parce que manque le courage d'en
fonder de nouvelles. La modernité organi-
que crée, par définition, un âge nouveau
de la culture sur la base de valeurs d'au-
tant plus révolutionnaires qu'elle les
ré-enfonce dans la matrice qui les détient
et les possibilise : la sensibilité primor-
diale, l'état d'esprit originel d'un peuple,
cet héritage indissociable de son identi-
té, ce devenir à l'état de latence dont
la modernité, précisément, permet le
déploiement quand elle assume le risque
de dépasser une époque pour ré-accom-
plir le destin, c'est-à-dire en re-créant
aux hommes un lieu de la pensée, un
champ des valeurs, un projet communau-
taire nouveaux qui leur permettent de
se ré-immerger dans l'Histoire. La moderni-
té organique défriche donc des sentiers
à l’intérieur d'un terroir qui, lui, ne
change pas.
A l'inverse, une modernité inorganique,
que nous dirons de rupture, se révèle
toujours incapable de mobiliser durable-
ment un peuple sur l'axe d'une idée et
d'une forme qui n'éveillent pas, à la
longue, une résonance profonde dans
quelque fosse enfouie de son inconscient
collectif. Cette modernité-là se révèle
înauthentique du fait qu'elle ne peut
pas arraisonner dans le temps un projet
fondateur qui crée un espace, c'est-à-
dire un projet qui crée un style, un sens
nouveau à la vie par où les hommes
puissent s'élancer à l'assaut d'un nouveau
destin, dans le jaillissement d'une nouvelle
puissance. Ecoutons HEIDEGGER : un
peuple "ne se fera un destin que si d'abord
il crée en lui-même une résonance, une
possibilité de résonance pour ce destin,
et s'il comprend sa tradition d'une façon
créatrice". Cette modernité d'apparence,
née de l'étrange, du bizarre, dure le
temps que dure l'effet d'un choc, c'est-
à-dire le temps d'un désordre, d'une
incohérence, le temps d'un ahurissement.
C'est le cas de bien des modes et de
bien des snobismes qui sont beaucoup
plus les résidus de phénomènes totalitai-
res et universalisants - phénomènes de
déculturation - que les premiers ébats
d'une quelconque modernité. L'originali-
té, en effet, c'est-à-dire la modernité,
sourd toujours de l'organique, de l'enraci-
né à proportion inverse de l'insolite,
propriété de tous et de personne, sans
attaches donc sans impulsions, digne
de toutes les curiosités mais d'aucune
estime, sans origine où pouvant s'arrai-
sonner, donc voué au vagabondage et
à la désintégration.
Pierre KREBS.
Fondateur du Thule-Seminar (Kassel).
VV\AAIVVVVV\AAAI\AIVVV
In tiefer Sorge um die Zukunft Europas
haben sich beherzte Europaer in einem
Arbeitskreis zusammengefunden . Im Rahmen
des THULE-SEMINARS w ollen sie die
Bewusstwerdung der persdnlichen und
gesellschaftlichen Identittit anregen, um
auf der Grundlage des volklichen Plura-
lismus zu einer Neufestsetzung der euro-
pàïschen Werte zu gelangen y deren Be-
hauptung , Festigung und Ausbreitung die
Voraussetzung filr das Uberleben unserer
europaischen Kultur ist . Diese steht im
Begriffy zwischen den aussereuropaischen
Mahlsteinen zum Mbrtel einer seelenlosen
Einheitswelt zerrieben zu werden ;
THULE-SEMINAR e.V .
Postfach 41 04 03
D-3500 KASSEL.
NOUS AVONS LU.,
LA MORT VOLONTAIRE AU JAPON
Dans les milieux qui se veulent intel-
lectuels, on a peu ou pas parlé de l'ouvra-
ge de Maurice PRINGUET sur la mort
volontaire au Japon. Bernard PIVOT
n'a pas cru bon de l'inviter à une de
ces soirées télévisées inimitables et
intitulées "Apostrophes". Bref, l'intelli-
gentsia n'a pas fait fête à cette étude.
Raison de plus pour la lire mais raison
insuffisante. Un tel livre nous amène
à découvrir non pas la chronologie d'une
tradition mais plus profondément la péren-
nité d'une des valeurs les plus essentiel-
les des peuples : le droit à mourir selon
son choix. Choix aristocratique s'il en
est et, qui plus est, maintes fois condamné
par les autorités ecclésiastiques.
Le titre du premier chapitre ("Le harakiri
de Caton") nous donne le ton de tout
le livre. Pour PINGUET, la question
de la "mort volontaire" relève d'une
double problématique : celle de l'homme
face à son destin et celle des conceptions
du monde déterminant le jugement sur
l'acte suprême de liberté. Il s'agit donc
d'un problème éminement culturel. Le
chapitre traitant du suicide de Caton,
prétexte à une analyse de la conception
traditionnelle païenne face au suicide,
relie sans aucun doute le code d'honneur
des samourai japonais et celui de l'aristo-
cratie indo-européenne antique.
Il n'y a pas, au fond, de différence de
nature entre le code traditionnel des
guerriers japonais depuis l'époque Kamakura
(Xllème siècle) et l'idéologie indo-euro-
péenne de la classe des seigneurs et
des guerriers. Déjà, l'Antiquité connait
cette césure entre l'école traditionnelle
(en l'occurrence les Cyniques et les
Stoïciens) févorable aux libertés aristocra-
tiques, dont le mode de suicide, et les
écoles qui, selon PRINGUET, inspireront
la condamnation augustinienne (Pythago-
riciens, Platoniciens, Péripatéticiens).
Cette différence de jugement sur la
"mort volontaire" n'est pas pour PRINGUET
une simple divergence, de nature accessoi-
re. Il écrit : "L'essentiel est que le Japon
ne s'est jamais privé par principe de
la liberté de mourir". Ajoutant dans
la phrase suivante : "Sur ce point, l'idéolo-
gie occidentale s'est montrée constam-
ment réticente".
En quelques mots, l'auteur nous permet
de bien mesurer l'importance de l'enjeu.
Face à "l'idéologie occidentale" (de l'école
pythagoricienne à la prohibition radicale
du suicide par le christianisme), il existe
un courant traditionnel pour qui la mort
volontaire est un acte positif et noble.
En mourant, écrit PRINGUET, Caton
a voulu aussi provoquer la renaissance
des principes qui mouraient avec lui
(pensons à MISHIMA...). Cette mort
marque une rupture dans l'histoire de
l'Antiquité: l'art de mourir, jusqu'alors
tenu comme la plus belle preuve d'un
courage raisonnable (tempestiva mors)
devient un acte de lâcheté, condamnable
à plusieurs titres. Le christianisme, au
Concile d'Arles (452), parlera de diabolico
persecutus furore. Plus largement d'ailleurs,
cette liberté de mourir individuelle,
qu'exaltera Sénèque, s'appuie sur une
conception aristocratique des libertés
publiques. Par là même, PINGUET resitue
avec justesse la question dans un contexte
plus large, celui de la culture d'un peuple.
Le despotisme d'un seul Dieu, maître
de l'univers et de la vie, se conjuguera
avec une Cité de Dieu intolérante et
totalitaire. L'art de bien mourir y est
suspect, dans la mesure où il est une
contestation brutale et ouverte de l'ordre
du "Souverain Bien" (chez Platon), de
Dieu lui-même (chez Augustin). Comment
accepter le suicide qui amoindrit le capi-
tal divin ? Question que ne soulève pas
le shintoïsme, religion immanentiste.
Pour PINGUET, le Japon s'oppose à l'Occi-
dent, comme, pour nous, l'Europe peut
s'opposer à ce même Occident. Il écrit :
"A la tendance universaliste de l'Occident
platonicien ou chrétien, s'oppose le plura-
lisme japonais (ou "païen", pourrions-
nous ajouter...), à nos doctrines de la
transcendance répond un phénoménisme
instinctif et primordial qui ne reconnaît
d'autre absolu que le monde sensible"
(p.20). Pour le Japonais, élevé dans la
religion de ses pères, "le temps est d'em-
blée l'être et tout être est temps". Ce
mot du philosophe japonais Dogen se
rapproche, pense PINGUET, de ceux
prononcés par Pindare, Héraclite et
Nietzsche 1 Intuition profonde et remarqua-
ble que nous faisons nôtre.
Il serait trop long de présenter toutes
les richesses de ce livre, qui doit être
lu non pas tant pour la puissance de
ses visions inter-culturelles (la découverte
par PINGUET de la parenté entre philoso-
phie présocratique et religion nationale
japonaise et, partant, de l'opposition
naturelle de l'une et de l'autre à l'Occi-
dent) que pour la richesse des références
de l'auteur qui puise indifférement dans
les deux traditions : indo-européenne
(qui plus est, Nietzsche est très souvent
cité 1) et extrême-orientale. Un grand
livre, qui confirme notre attachement
à nos racines. Celles de notre tradition,
celles d'une vraie noblesse de l'esprit.
Plus proches de Yukio MISHIMA que de
BHL, nous le sommes sans doute aussi.
A.S.
Maurice PINGUET, La mort volontaire
au Japon, Paris, Gallimard, 1984, 150FF.
<VVVVVVVVNAIVVVVWVV
LES HOMMES AU MIUEU DES RUINES
Enfin, la réédition tant attendue du grand
classique de Julius EVOLA, Les Hommes
au milieu des ruines, est sortie de presse
grâce aux efforts conjugués des éditions
Pardès et Trédaniel. Dans ce livre, bible
politique de la droite dite "traditionnel-
le" d'Italie et de France dans les années
60 et au début des années 70, Julius
EVOLA proposait à ses lecteurs une
doctrine de l'Etat, une vision à la fois
révolutionnaire et conservatrice du politi-
que. La révolution suggérée par EVOLA,
dans Les Hommes au milieu des ruines,
est une révolution avant tout métapoliti-
que : il nous exhorte à rejeter tout un
fatras idéologique, toute une panoplie
de slogans creux qui ont fait des années
55 à 75 un désert pour la culture politique,
qui ont consacré ces deux décennies
du boom industriel au règne du mesquin
esprit de calcul, du pur quantitativisme,
privilégiant le profit immédiat, le court
terme au détriment de l'immémorial
et du long terme. Après cette phase
"métapolitique", les institutions dérivées
du fatras idéologique dénoncé par EVOLA
suivront le même chemin : vers le dépotoir
de l'histoire. L'exagération dans le culte
du profit immédiat, que nous offre le
néo-libéraiisme, sera indubitablement
le chant du cygne des idéaux quantitati-
vistes.
Le conservatisme proposé par EVOLA,
dans Les Hommes au milieu des ruines,
est précisément, comme dans toute son
oeuvre, de renouer avec les fondements
de cet immémorial qu'il appelle la Tradi-
tion. Pour retrouver cette Tradition,
nous devons simultanément redécouvrir
l'idéal "organique", dénoncer la "démonie
de l'économie" et la médiocrité du mental
bourgeois. EVOLA nous offre là une
critique conservatrice, puisant aux sources
de la vision impériale européenne du
Moyen Age, du totalitarisme, du bonapar-
tisme, du machiavélisme, de l'histori-
cisme et du militarisme. Sous le signe
de son option résolument "gibeline",
EVOLA casse au marteau tous les "ismes",
idoles d'une ère tristement sociologique,
d'une ère sans profondeur, d'une ère
amnésique et fière de l'être.
Par rapport à la première édition françai-
se des Hommes au milieu des ruines
(Les Sept Couleurs, Paris, 1972), Trédaniel
et Pardès ont ajouté quatre textes supplé-
mentaires en annexe, dont "Le Mythe
Marcuse" et "L'engouement maoïste"
où EVOLA critique la superficialité des
révoltes "hippy" et soixante-huitarde
ainsi que l'exotisme niais et têtu qui
faisait de la Chine de Mao le totem
sacré des révolutionnaires musclés. Mais
dans sa critique EVOLA ne niait pas
la nécessité ni la légitimité d'une révolte.
Ce qui le distingue de tous les conserva-
teurs chiasseux.
B.E.
Julius EVOLA, Les Hommes au milieu
des ruines, Traduction française revue,
corrigée et complétée par Gérard Boulan-
ger, Pardès/Guy Trédaniel, Puiseaux/Pa-
ris, 1984, 281 pages, 85 FF.
Ce livre peut être commandé à notre
"service librairie" au prix de 600 FB ,
port inclus . Pour détails supplémentai -
res, voir à la page 12 de ce numéro .
Jacob Taubes (Hrsg.)
Religionstheorie
und
Poütische Théologie
Wilhelm Fink Verlag
Ferdinand Schoningh
THEOLOGIE POLITIQUE
Sur la couverture: une reproduction de
l'édition latine du Léviathan, "figure
représentant le dieu mortel, au corps
faits d'hommes, figure à laquelle nous
devons paix et protection sous le regard
du Dieu immortel" (HOBBES). Der Fürst
dieser Welt (= Le Prince de ce monde)
est le premier volume d'une collection
prestigieuse qui explorera l'océan quasi
insondable de la "théologie politique".
L'éditeur reste modeste : il avoue ne
reconnaître aucune terre fixe dans cet
océan, autrement dit aucun socle méthodo-
logique solide pour cerner cette discipli-
ne, aujourd'hui largement évacuée des
programmes de sciences-po'. Dès l'abord,
avec pareil avertissement, le lecteur
risque d'abandonner l'ouvrage à la poussiè-
re des bibliothèques, de le percevoir
comme une tentative vaine, prétentieuse
et inutile. La première chose qu'il con-
vient de faire, pour lui faciliter l'accès
de ce monde aussi étrange que fascinant,
c'est de définir ce qu'est la "théologie
politique".
Première définition
La Stoa, déjà, distinguait aux côtés de
la théologie physique et de la théologie
mythique, une théologie politique, chargée
de répondre à une question fondamentale :
"Quels dieux le citoyen moyen doit-il
honorer pour le compte de l'Etat et
quels actes sacrés, quels sacrifices doit-
il consentir ?". Dans cette optique, il
s'agit des composantes théologiques et
cultuelles de l'Etat, que l'on retrouve
aujourd'hui encore, sous une forme édulco-
rée, dans la "civil religion" américaine.
Deuxième définition
"Théologie politique" est un concept
forgé en 1922 par Cari SCHMITT dans
un ouvrage portant le même titre. Le
troisième chapitre du livre commence
par une phrase-clef : "Tous les concepts
marquants des doctrines modernes de
l'Etat sont des concepts de la théologie
qui ont été sécularisés". Quant au premier
chapitre, il commence par une phrase
tout aussi déterminante : "Est souverain,
celui qui décide de l'Etat d'exception".
SCHMITT opère là un parallèle entre
le miracle, qui transgresse, par définition,
les lois de la nature, et l'intervention
du souverain dans l'ordre du droit en
vigueur au sein d'un Etat. Catholique
(ou plutôt "catholisant"), SCHMITT, en
se réclamant des philosophes politiques
contre-révolutionnaires (XVIIIème et
XIXème siècles) et surtout de l'Espagnol
Donoso CORTES, réintroduit, dans le
discours intellectuel sur le politique,
l'antithèse théologique opposant immanen-
ce et transcendance.
Dans le sens où l'entend Cari SCHMITT,
la "théologie politique", c'est le retour
des concepts et des représentations théolo-
giques dans la pensée politique concrète.
La tâche du politologue sera alors de
repérer les "théologies cachées" qui
truffent les discours théoriques sur le
politique. Toute approche scientifique
de la démocratie relève ainsi, selon Cari
SCHMITT, du domaine de la théologie
politique.
Troisième définition
Aujourd'hui, tout un éventail de doctrines
et d'idéaux se proclament être des "théolo-
gies politiques". Des auteurs allemands
comme METZ, MOLTMANN, GOLLWITZER,
SôLLE, les théologies dites de la "Révolu-
tion" ou de la "Libération", etc. veulent
justifier par la théologie, par des argu-
ments théologiques, des engagements
politiques divers. Les sceptiques, quant
a eux, voient, dans ces spéculations,
"un conformisme pour le futur où régnera
la prochaine répression" (Odo MARQUARD).
Le volume édité par Jacob TAUBES
vogue entre ces trois formes de théologie
politique. Il ressemble à ces "mélanges"
offerts à l'occasion d'anniversaires de
professeur d'université. Parmi les textes
rassemblés, on trouve une brève évoca-
tion de Fritz LEIB, un théologien "com-
pagnon de route" de STALINE ; une analyse
de la vision constantinienne d' AUGUSTIN ;
une recherche sur Hans BLUMENBERG
et PETERSON (deux auteurs abordés
par SCHMITT dans "Politische Théologie
II", recueil de répliques à son ouvrage
de 1922) ; une étude sur KIERKEGAARD,
etc. Le volume ne comprend que des
fragments d'analyse, sans fil conducteur,
puisque les collaborateurs de TAUBES
ne cherchent pas à construire ensemble
une théologie politique.
Seule exception, Odo MARQUARD, qui
nous définit une théologie politique du
polythéisme. L'actuelle philosophie de
l'histoire, avancée par les "révolution-
naires" (ou plutôt les penseurs révolution-
naires en chambre) n'est qu’un mono-
théisme sécularisé, un monomythe, un
récit à conter à tous et à chacun. Avant
1750, écrit MARQUARD, il existait
plusieurs récits qui, par un processus
de "singularisation"se sont mués en un récit
unique auquel personne ne peut plus
se soustraire. "La philosophie révolution-
naire de l'histoire est, sur le mode mono-
mythique, le monothéisme politique actuel.
Il est l'auto-corroboration non plus d'un
seul empereur (ou monarque) mais d'une
seule histoire, d’une seule révolution".
Et à côté de cette unique philosophie
de l'histoire se serait opéré un "retour
du refoulé", c'est-à-dire une recherche
de la "polymythie" perdue, recherche
qui se révèle dans l’orientalisme du XIXè-
me siècle et dans le culte naïf et agressif
voué à la Chine de MAO et au Vietnam
d'HO CHI MINH chez les gauchistes
d’il y a dix ans. Un cheminement des
Hafis à Ho Chi Minh... Si l'orientalisme
est, pour MARQUARD, une impasse,
il s'est quand même jeté les fondements
d'un polythéisme politique éclairé et
sérieux, comme, par exemple, le système
de la séparation des pouvoirs. Ce système
correspondrait au monde d'Homère, où
les dieux comme les Princes grecs, sont
des oligarques. Le polythéisme est dès
lors un oligothéisme qui, contrairement
au monothéisme orgueilleux et sûr de
lui, peut mettre son propre déclin en
perspective.
Notre époque, toutefois, a scellé l'assomp-
tion du pluralisme authentique et inauguré
l'âge de l'intégralisme où, tant sur le
plan théologique que sur le plan politique,
l'on n'a plus le choix qu'entre le monopo-
le et la "commune", entre César et le
"royaume de LA Liberté", entre les adeptes
de l'autocratie et les libéraux. Dans
le domaine de la théologie politique,
jadis espace intellectuel quasi réservé
aux contre-révolutionnaires (surtout
catholiques), s'affrontent aujourd'hui
"libéraux" et "révolutionnaires de gauche".
Les adeptes de Joseph de MAISTRE,
de BONALD, de Donoso CORTES et
de Cari SCHMITT, résolument campés
ailleurs, regardent le spectacle de ce
pugilat et lisent attentivement le livre
édité par TAUBES.
L'intérêt de cette lecture, c'est de se
plonger dans un univers étranger aux
préoccupations macabrement juridiques
ou stupidement économistes qui font
de la politique théorique un pensum diffi-
cile à s'administrer. L'univers des théolo-
gies politiques nous permet de prendre
distance vis-à-vis des obsessionnels du
statu quo et de leurs platitudes.
Caspar von SCHRENCK-NOTZING.
Jacob TAUBES (Hrsg.), Der Furst dieser
Welt, Cari Schmitt und die Folgen, Band
I der Reihe "Religionstheorie und Politische
Théologie", Ferdinand Schoningh/ Wilhelm
Fink Verlag, Paderborn/München, 1983,
321 pages, 78 DM.
GUILLAUME D'ORANGE
En Belgique, système totalitaire et perni-
cieusement liberticide plutôt qu'Etat
de droit ou "commonwealth" d'un peuple
libre, il existe quelques rares espaces
de liberté. Nous souhaitons, dans la mesure
de nos très modestes moyens, en être
un, tout simplement en refusant de pren-
dre en considération les tares multifor-
mes de ce système, en en dressant quelque
fois un bilan grinçant.
L'écrivain anversois Roger AVERMAETE
est à lui seul un havre de liberté. Avec
une insolence calme, il dénonce le jeu
des partis, de la mafia politique, le sinistre
guignol des nominations où, toujours,
le détenteur de la carte du parti X dans
la région Y (ou du parti Y dans la région
X) est privilégié par rapport à l'homme
qui est tout simplement, trop simplement
compétent.
Mais sa verve, AVERMAETE ne la tire
pas d’un dégoût naturel et spontané des
Au-dessus : portrait de Guillaume d'Orange dit le Taciturne (de Zmjger). A gauche,
une carte qui illustre le début de la scission des Grands Pays-Bas . En noir, l'Union
d'Arras, acquise à l'Espagne. En blanc, l'Union d'Utrecht acquise à Guillaume d'Orange.
En hachuré, les zones disputées. En pointillé, la Principauté de Liège qui ne participait
pas au conflit, ne relevant pas de la Couronne d' Espagne. A gauche, une carte des
Pays-Bas en 1549, montrant leur diversité linguistique. Cette carte est extraite du
livre de Geoffrey Parker, The Dutch Revoit , Penguin , 1979.
7
veuleries politiciennes belges ; il la tire
d'une véritable conscience historique.
Auteur en 1944 d'un ouvrage d'histoire,
Les Gueux de mer et la naissance d'une
nation, qui retraçait l'épopée de ceux
qui, sur mer, avaient lutté âprement
contre la criminelle soldatesque catholi-
que envoyée par le Roi d'Espagne pour
nous imposer ces turpitudes cléricales
qui n'ont hélas pas encore cessé de vivre
en parasites sur notre corps social, Roger
AVERMAETE a saisi toute l'importance
historique de cette époque troublée,
désastreuse pour les Pays-Bas Méridio-
naux. Cette période fut un désastre car
elle a imprimé, de manière indélébile,
un esprit de démission dans les cervelles
des habitants de ces provinces qui, en
1830, allaient devenir la Belgique. Dans
des propos livrés à brûle-pourpoint au
Crapouillot ("Edition Belge", n°2, octo-
bre 1983), il disait : "... Référez-vous
à l'histoire. A l'époque des dix-sept
provinces, on aurait pu aboutir à un
résultat, mais les catholiques ont tout
fichu en l'air. Si on avait lutté contre
les Espagnols, l'histoire aurait pu prendre
une tournure différente. Le sud a laissé
tomber les armes, tandis que les provin-
ces du nord ont tenu bon. Le régime
espagnol, ensuite tous les autres jusqu'au
hollandais, voilà ce qui continue à peser
sur nous. C’est cette empreinte qui nous
rend moutonniers. Se moquer de l'occu-
pant, c'est délicieux. Mais on ne combat
pas. Cet état d'esprit vient tout droit
de notre formation politico-religieuse;
aussi n'insistera-t-on jamais assez sur
l'influence des catholques. Leur intransi-
geance a toujours pesé et continue à
peser sur notre vie politique. Même aujour-
d'hui on ne peut discuter avec les Catholi-
ques que lorsqu'ils doivent composer.
En conclusion, j'avancerais ceci: sous
la domination espagnole, les meilleurs
d'entre nous sont partis. Les moutons
sont restés. Nous sommes, nous, les
descendants des moutons. Que pourrions-
nous faire d'autre qu'une politique mouton-
nière ?".
C'est là tout le sens de l'oeuvre historique
d’AVERMAETE. Les éditions Payot de
Paris ont eu l'heureuse initiative de
rééditer son Guillaume d'Orange (1939)
à l'occasion du quatre centième anniver-
saire de l'assassinat (10 juillet 1584),
par un catholique fanatique du nom de
Balthazar GERARD, de ce Prince qui
fut, pour les Pays-Bas, le "Père de la
Patrie". Nous en recommandons chaleureu-
sement la lecture, à une époque où l'histoi-
re n'est plus exemplative mais tristement
quantitative, où elle ne cherche plus
à raviver des potentialités historiques
mais où elle s'enfonce dans la compilation
de détails para-historiques sans importan-
ce. Le Guillaume d'Orange d' AVERMAETE
est le réci't d’une rébellion exemplaire
que, devenus trop lâches, nous n'osons
plus imiter. Une rébellion dont nous
ne ressuscitons plus l'esprit contre nos
oppresseurs actuels : catholiques, libéraux,
américanolâtres, socialistes francolâtres
et pseudo-fédéralistes et profiteurs oppor-
tunistes de l'espèce si bien décrite par
2INOV1EV.
La réédition du livre d'AVERMAETE
est sans doute la seule initiative prise
en "Belgique romane" pour commémorer
le quatrième centenaire de la mort tragi-
que de Guillaume d'Orange. En revanche,
dans le mouvement flamand, presqu’aussi
peu connu dans ses assises intellectuelles
en Wallonie et en France que la religiosi-
té des indigènes de Papouasie, les rappels
historiques, les hommages au Taciturne
se sont succédés tout au long de cette
année 1984 : notre rédaction a reçu succes-
sivement un Willem van Oranje de Walter
BRI3S (Oranjejeugd, 1983), ensuite, plu-
sieurs textes dans le Zannekin Jaarboek
6, revue prestigieuse que nous avons
déjà évoqué dans ces colonnes (Cf. VOU-
LOIR n°5, p.8) et un numéro spécial,
fort bien documenté, de la revue Diets-
land Europa (1984 nr. 8/9, aug./sept.
1984). Dans ces trois publications, on
distingue deux tendances historiogra-
phiques nettement différentes.
La première cherche à démontrer l'indé-
fectible unité des Dix-Sept Provinces
au-delà des clivages linguistiques. L'autre
démontre que la scission de ces Dix-
Sept Provinces est due essentiellement
aux différences de mentalité entre ressor-
tissants des provinces de langue germani-
que (thioise) et provinces de langues
romanes (wallones et picardes). Cette
querelle historiographique a eu des retom-
bées en notre siecle où, avant-guerre,
des cercles nationalistes flamands pen-
chaient pour une historiographie "groot-
nederlandsch", c'est-à-dire une historiogra-
phie qui cherchait à distinguer deux
communautés de destin, l'une thioise,
l'autre romane. L'historien néerlandais
GEYL appartenait à cette tendence.
Parallèlement au courant "grootneder-
landsch", d'autres milieux mettant égale-
ment en cause l'historiographie officiel-
le belge, comme le VERDINASO de Joris
VAN SEVEREN, tentaient de prouver
et de justifier une communauté de destin
identique aux provinces romanes et aux
provinces thioises de l'ancien "Cercle
de Bourgogne" du Saint-Empire.
Cette querelle d'ordre historique est
consubstantielle au mouvement flamand
et aux cercles, cénacles et sociétés
de pensée qui ont mis en cause l'orienta-
tion trop latine (et, ipso facto, trop
catholique et trop méridionale) et trop
"française" de l'historiographie belge
officielle. Elle n'a pas cessé et, surtout,
ne s'est pas limitée aux seuls mouvements
nationalistes. Une longue étude s'avérerait
nécessaire pour classer toutes ces tendan-
ces, pour les accrocher aux options philo-
sophiques plus conventionnelles (catholique,
libérale, socialiste) du monde politique
belge. Une chose est toutefois certaine :
le mythe populiste, qui préside incontesta-
blement les deux historiographies alterna-
tives que nous mentionnons, traverse
tout le corps social flamand et trouve
quelqu'écho chez de rares auteurs franco-
phones. Le nationalisme populiste demeure-
ra envers et contre toutes les pesanteurs
idéologiques, qu'elles soient catholiques,
libérales ou socialistes. C'est à ce nationa-
lisme populiste qu'appartient l'avenir.
Laissons donc aux intellectuels flamands
et aux rares spécialistes wallons ou fran-
çais, conscients de cet enjeu, le soin
de trancher dans la querelle, de choisir
leur option. Bornons-nous à exposer les
points de vue de chaque protagoniste
du débat.
Walter BRUS appartient au clan de ceux
qui considèrent l'ex-Cercle de Bourgogne
(ou Dix-Sept Provinces) comme un tout
indivisible. BRIJS est de ceux qui déplo-
rent le démembrement des Pays-Bas
entre cinq Etats (Pays-Bas, Belgique,
Luxembourg, France, RFA). La conclusion
de son opuscule exprime clairement
son option. Pour lui, Guillaume d'Orange
est un exemple, tant sur le plan humain
que sur le plan politique. La personnali-
té de Guillaume d'Orange incarne un
modèle de tolérance et de ténacité ;
elle incarne l'harmonie de ces deux vertus
souvent inconciliables. Le Prince d'Oran-
ge nous enseigne, par-delà les siècles,
à ne pas agir, en politique, par sectarisme
idéologique et à ne pas, d'emblée, considé-
rer ses propres opinions comme seules
valables. Selon Guillaume d'Orange,
écrit BRIJS, la politique est la résultante
d'un enchevêtrement de courants d'idées
très différentes. Etre "taciturne", c'est
se mettre à l'écoute de cette diversité.
Sur le plan politique, l'exemplarité du
Prince tient à sa qualité de rassembleur
des Dix-5ept Provinces en un seul Etat
moderne. Le rassemblement de cette
diversité reposait sur deux institutions:
le "Raad van State" ("Conseil d'Etat")
et les "Staten-Generaal" (les Etats-Géné-
raux). Le Raad van State représentait
les provinces tandis que les Staten-Gene-
raal étaient l'assemblée où germaient
les décisions des provinces. C'est là,
pour BRIJS, l'idéal parfait du fédéralisme
qui, par essence, est fédérateur et non
diviseur comme l'est aujourd'hui le "fédéra-
lisme" proposé par les politiciens belges.
Ce fédéralisme-là, ou, plutôt, ce pseudo-
fédéralisme, est la division d'un Etat
en plusieurs morceaux, division décidée
d'en haut, depuis des cénacles sans prise
sur la réalité économique et où la conscien-
ce historique brille par son absence.
La fédération rassemble en un faisceau
des communautés naturelles, le pseudo-
fédéralisme divisionnaire crée des micro-
étatismes de substitution qui parachèvent
le processus de morcellement des Dix-
Sept Provinces en cours depuis le XVIème
siècle. BRIJS estime que la Belgique
subit ce processus de division parce qu'elle
est basée sur de faux principes qu'il
convient de remplacer par des principes
plus réalistes et plus organiques. La
haine ne peut engendrer ces principes.
Seules la lucidité et la clairvoyance
le peuvent.
L'opuscule de BRIJS n'insiste pas sur
les réactions différentes à la Réforme
et à la politique du Prince d'Orange
enregistrées dans les provinces romanes
et dans les provinces thioises. Il estime
la situation trop complexe et découvre
dans chaque espace linguistique des adver-
saires et des partisans du Prince et de
la confession calviniste. Devant l'avance
victorieuse des troupes espagnoles, ses
partisans "romanophones" fuient et s'instal-
lent en Hollande, en Allemagne et essaime-
ront jusqu'en Angleterre, en Prusse et
en Suède. Seuls attentistes et adversai-
res demeureront dans les provinces roma-
nes.
Le rôle joué par les provinces romanes
dans les événements du XVIème siècle
constitue l'objet d'âpres discussions parmi
les historiens du mouvement flamand.
Si BRIJS appartient à la tradition qui
souhaite un modus vivendi entre Wallons
et Flamands au sein d'une confédération
"bénéluxienne" et refuse toute perte
de territoire supplémentaire, tout morcel-
lement futur, les éditeurs de Dietsland
Europa envisagent l'avenir de leur peuple
dans une entité exclusivement thioise,
regroupant Néerlandais du Sud (Flandre
belge) et du Nord (Pays-Bas actuels).
Face à ce bloc thiois ("diets") que devien-
dra la Wallonie ? Bert VAN BOGHOUT,
rédacteur en chef de la revue, estime
que c'est aux Wallons de choisir entre
trois options : 1) devenir une mini-républi-
que condamnée à la misère^ sociale et
au sous-développement économique;
2) devenir le Xieme département d'une
France "à moitié africanisée" (sicl);
3) choisir un modus vivendi avec une
Flandre qui entend conserver une autono-
mie totale, garder Bruxelles, rejeter
toute forme de solidarité "belge" et
protéger les Flamands émigrés en Wallo-
nie. Le moins qu'on puisse dire, c'est
qu'il ne se trouvera que fort peu d'hommes
politiques wallons pour admettre l'une
ou l'autre de ces trois solutions. VAN
BOGHOUT condamne le "revival" de
l'idée "bourguignonne" des Dix-Sept Pro-
vinces indivisibles, même si, dans l'histoi-
re, on observe une indiscutable convergen-
ce entre ces duchés, comtés et autres
principautés. Cette convergence est
cependant vieille de quatre ou cinq siècles.
Réalisée par des ducs français (bourgui-
gnons en l'occurrence), cette convergence
a renforcé, dit VAN BOGHOUT, la franci-
sation, donc l'aliénation, de la population
des territoires thiois, processus qui a
pris fin il n'y a que quinze ou vingt
ans.
Reste un problème historique à résoudre:
si Guillaume d'Orange est le "père de
la patrie" néerlandaise, sa politique n'a
pas toujours été exempte d'erreurs straté-
giques. Le Prince, à un moment donné,
a entrevu la possibilité d'une collaboration
militaire avec la France, moyennant
la rétrocession de territoires appartenant
aux Pays-Bas. Quant aux nobles wallons
et picards, siégeant aux Etats Généraux,
ils ont fini par adopter une politique
hostile à Guillaume qui, à leurs yeux,
laissait trop de latitude aux calvinistes
d'Anvers et de Gand qui suggéraient,
comme Thomas Muntzer en Allemagne,
une "république égalitaire". Surnommés
"malcontents", ces nobles créeront l'Union
d'Arras, anti-calviniste, qui passera rapide-
ment sous contrôle espagnol : ils ne vou-
laient ni le révolutionarisme social calvi-
niste, qui mettait leurs privilèges en
danger ni, et cela VAN BOGHOUT ne
le dit pas, Fannexion à la France, jugée
"ennemie héréditaire" en Hainaut même
si, à Liège, elle est la "mère protectrice"
des Wallons. Hennuyers et Principautai-
res n'ont pas la même opinion quant
au passé et à l'avenir de la Wallonie
alors que le nationalisme flamand forme
un bloc plus homogène, même si "libre-
pensée" et "catholicisme" s'y querellent
quelques fois.
Les "Malcontents" wallons, artésiens
et picards du XVIème siècle ont choisi
la carte espagnole, ont choisi le Plan
d'Alexandre FARNESE, général du roi
d'Espagne, que l'historien "belge unitariste"
Léon van der ESSEN (in : Alexandre Farnè-
se et les origines de la Belgique moderne
1545-1592, Office de Publicité, Bruxelles,
1943) désignait comme le fondateur
réel de la future Belgique, puisqu'il avait
reconquis les provinces thioises des Pays-
Bas méridionaux. La Belgique est, et
par là nous retrouvons la pertinence
d'AVERMAETE, une création essentiel-
lement cléricale, un espace gagné de
force à la Contre-Réforme.
Rob van ROOSBROECK, historien brillant
et rédacteur à la fois de Dietsland Europa
et du Zannekin Jaarboek 6, récapitule
le^ paysage géopolitique de ce XVIème
siècle et nous révèle les projets annexion-
nistes des Français et des Anglais aux
dépens des Dix-Sept Provinces. Orange
aurait souhaité une alliance militaire
avec les Princes protestants d'Allemagne
du Nord, de façon à lancer une attaque
massive contre les armées "papistes".
Mais les Princes luthériens haïssaient
les calvinistes révolutionnaires que le
Prince d'Orange ménageait, fidèle à
son sens du^ compromis et à son respect
des diversités. Résultat: les princes alle-
mands le laissent tomber, scellant là
la scission définitive entre les Pays-Bas
et le reste du Reich, officialisée par
les traités -de 1648 (Cf. VOULOIR n°7).
"J'y suis contraint" dira Guillaume d'Oran-
§e, en jouant la carte française, Anjou
étant lui aussi ennemi de la Couronne
d'Espagne. L'Angleterre élizabéthaine
cherche d'abord à conjurer l'alliance
franco-écossaise (Marie Stuart) et craint
que la Flandre, fief français jusqu'à
Charles-Quint, ne devienne base de départ
d'un assaut» français contre le Kent.
Elizabeth 1ère et son ministre BURGHLEY
préféraient voir les Espagnols en mauvaise
posture en Flandre que d'y savoir les
Français sûrs d'eux-mêmes et solidement
implantés. Ni l'Empire (catholique et
allié de l'Espagne comme les "Malcontents")
ni les Princes luthériens ni l'Angleterre
n'auraient admis l'annexion de territoi-
res relevant du Cercle de Bourgogne
au Royaume de France. Dans le cas
d'une défaite totale des Espagnols, l'ambas-
sadeur anglais WALSINGHAM prévoyait
et craignait une partition du Cercle
de Bourgogne, où la Flandre et l'Artois
retourneraient à la France, la Hollande
et la Zélande deviendraient en compensa-
tion protectorats anglais et le reste,
relevant de l'Empire, resterait à Guillau-
me d'Orange. La neutralité des Pays-
Bas et de la Belgique du XIXème siècle
est le fruit d'un accord tacite des puissan-
ces périphériques, accord où l'Angleterre
tire le meilleur profit puisque seuls de
petits Etats faibles contrôlent les côtes
qui lui font face et le delta Rhin/Meuse/
Escaut. Du XVIème siècle à 1914, on
perçoit la continuité de la politique anglai-
se.
Portrait d'Alexandre Famèse . Carte de
la reconquête des Pays-Bas contre VEspaqnol
( 1590 - 1607 ).
Mais au fonds, Français, Anglais et Améri-
cains d'aujourd'hui ne verraient pas d'un
si mauvais oeil la désagrégation du Béné-
lux. Le mouvement flamand nous livre
une histoire des régions de l'actuel Béné-
lux qui échappe aux triomphalismes sim-
plets des cénacles officiels, une histoire
qui raisonne très justement en termes
de rapports de force. C'est la raison
de s'y plonger, d'en apprendre les rouages,
indépendamment des options qui s'offrent
à l'historien, qu'elles soient "grootneder-
landsch" ou "bourguignonnes". Chacune
de ces options souligne des possibles,
des virtualités, des intentions qui ne
meurent pas malgré des défaites histori-
ques tangibles.
S.H.
Roger AVERMAETE, Guillaume d'Orange
dit le Taciturne 1533-1584, Paris, Payot,
1984, 255 p., 90 FF.
(Pour situer le XVIème siècle dans le
contexte global de l'Histoire de "Belgi-
que" selon AVERMAETE , il convient
de lire sa Nouvelle Histoire de Belgique,
Editions Jacques Antoine , Bruxelles,
1983 , 588 p., 800 F B. Tout l'humour
corrosif d' AVERMAETE est présent dans
cet ouvrage sublime l)
Walter BRIJS, Willem van Oranje 1533-
1584, Oranjejeugd, Malle, 1983, 52 p.
Cet opuscule est disponible à notre service
librairie au prix de 100 F B + 20 F B
(port).
Jaarboek Zannekin 6, Ieper, Stichting
Zannekin, 1984, 144 p.
Ce numéro 6 du Zannekin Jaarboek est
également disponible à notre service
librairie au prix de 450 FB + 35 FB (port).
Dietsland Europa, n°8/9-1984, Were di,
Antwerpen, 64 p.
Disponible à notre service librairie au
prix de 130 FB + 20 FB (port).
WVVAA^VVVVVVVVVVVV
Y A-T-IL UNE n SOLUTION LIBERALE "?
Guy SORMAN, énarque, professeur d'éco-
nomie à l'Institut d'études politiques
de Paris, n'est pas à proprement parler
un "théoricien du libéralisme". Il se décla-
re plutôt simple "observateur". Premier
fruit de ses observations : un livre intitu-
lé La Révolution Conservatrice américai-
ne (1983). Cet ouvrage racontait les
mésaventures, l'évolution, l'itinéraire
des groupuscules et des rassemblements
plus importants quantitativement qui
avaient donné à REAGAN sa première
victoire électorale. Ce livre était agréa-
ble à lire, nous livrait la toile de fond
d'une Amérique "profonde", étrangère
à toute forme d'intellectualité. Récem-
ment, SORMAN a récidivé avec La solu-
tion libérale, compilation d'anecdotes,
qui vise à montrer ce qu'est le libéra-
lisme réel, concret, aux USA, en Grande-
Bretagne thatcherisée, au Japon et en
Allemagne Fédérale.
L'avantage stratégique que retirent les
libéraux, en panne de théories, de ce
livre, c'est de parler du libéralisme sans
faire appel à la théorie. "J'ai voulu faire
un bilan concret du libéralisme réel
tel qu'il se pratique à l'étranger, alors
qu'en France on parle sans expérience,
par effet de mode d'un libéralisme théori-
que", déclarait SORMAN au Magazine-
Hebdo, le 7 septembre dernier. Le libéra-
lisme "concret" de SORMAN, c'est le
retour aux sources mandevilliennes du
libéralisme, à une idéologie qui croit,
dur comme fer, que le progrès, c'est
la somme des actions individuelles sponta-
nées, motivées par l'intérêt, que ces
actions soient d'ailleurs des vices ou
des vertus.
SORMAN tire de cette vision, issue tout
droit du XVIIIème siècle, un libéralisme
libertaire, un spontanéisme social créateur
et permissif, capable d'intégrer les idéaux
de mai 68. Ce libéral-spontanéisme entend
se passer de la classe politique, qui vit
(grassement) des structures de l'Etat-
Providence, qu'elle soit de droite ou
de gauche. Quand les membres de l'ancien-
ne majorité, en France, se revendiquent
du libéralisme, le sien ou celui de HAYEK,
SORMAN parle de hold-up idéologique.
Pour lui, le libéralisme ne saurait se
confondre avec l'absolu patronal et l'abso-
lu politique : il ne serait alors qu'une
réaction conservatrice sans lendemain.
Le libéralisme de SORMAN est par essen-
ce anti-politique et il se résume à un
principe simple : la supériorité de l'ordre
spontané sur l'ordre décrété.
Le recours à la spontanéité permet beau-
coup d'approximation, beaucoup de conclu-
sions hâtives. C'est le reproche majeur
que Pierre ROSENVALLON adresse au
dernier livre de SORMAN. Après la dissolu-
tion du marxisme primaire de notre après-
guerre, héritier du marxisme vulgaire
que DE MAN avait déjà exécuté en 1926,
on assiste à la naissance de son inversion
presque parfaite: le libéralisme primaire.
SORMAN pose sans doute de vraies ques-
tions, écrit ROSENVALLON, car "il
faut^ effectivement trouver des alternati-
ves à la crise de l'Etat-Providence, définir
des substituts aux régulations keynésien-
nes d'avant la crise, réduire l'opacité
et accroître l'efficacité des services
publics, juguler les effets pervers de
certaines ^ politiques sociales, limiter
les rigidités corporatives, etc." (in Le
petit Hayek illustré, in L'Expansion,
2/15 nov. 1984).
Malheureusement, SORMAN n'offre aucune
solution. Il se borne à remplacer les
slogans keynésiens par des slogans néo-
liberaux. "A bas l'Etat, vive le Marché 1".
Même si son plaidoyer a-théorique est
difficilement réfutable, à cause, précisé-
ment, de son a-théoricité, il convient
de rappeler quelques principes qui procla-
ment la mort historique du libéralisme
mandevillien, matrice de tous les autres
depuis deux siècles, et quelques réalités
qui prouvent que les succès économico-
politiques américains et autres d'aujour-
d'hui ne doivent rien aux vieilles recettes
libérales.
REAGAN et THATCHER n'ont pas arrêté
la croissance de la machine étatique.
Les dépenses sociales et militaires n'ont
pas diminué. REAGAN pratique la vieille
stratégie politico-économique américaine,
dérivée des théories de CAREY, qui
préconisaient un protectionnisme rigoureux
en commerce international couplé à
un libre-échangisme à l'intérieur des
frontières.^ Dans cette optique, le politique
prime l'économique et l'Etat se voit
revalorisé, en dépit du discours idéologi-
que. Le moins qu'on puisse dire, c'est
qu'il n'y a pas disparition de l'Etat.
Si l'on croit que les vices et les vertus
des individus suscitent le progrès, on
se place résolument dans une optique
fausse : seules quelques sociétés extrême-
ment urbanisées dévoilent une atomisation
excessive du tissu social (Paris, Bruxelles,
New York,...). Dans notre vaste monde,
on constate que les sociétés économique-
ment performantes, comme le Japon,
sont celles où les cohésions naturelles
(familiales, claniques, travail noir en
Italie, etc.), religieuses ou national-reli-
gieuses (shintoïsme, Sikhs, diasporas
juive et grecque, Maronites) sont puissan-
tes et permettent de faire l'économie
d'un système de sécurité sociale rigide.
Nos sociétés ont été disloquées par le
libéralisme, d'essence individualiste,
et ont donc besoin de sécurité sociale.
L'absence de sécurité sociale ne profite
qu'à une catégorie d'agents économiques
que SORMAN distingue parfaitement :
la "nouvelle race" cosmopolite qui hante
les lieux aseptisés, sans exotisme, des
aéroports internationaux, des hôtels,
des sièges des multinationales, des grands
magasins. Une nouvelle race sans coeur
et sans racines, une nouvelle race qui
n'a pas le temps de faire des enfants
et qui a l'égoïsme abject de refuser
aux autres de nourrir décemment les
leurs, une nouvelle race sans poésie,
toute préoccupée de chiffres et de statisti-
ques sans fondements, ersatz des antiques
lectures d'entrailles. Cette nouvelle
race ne laissera guère de traces dans
l'histoire. La crise balaiera cette engeance
peu reluisante de spéculateurs, au profit
de producteurs liés à un sol et à une
communauté. Les Japonais nous démon-
trent que les racines ne sont nullement
des freins à l'économie. En matière socia-
le, il y a indubitablement un obscurantisme
libéral pour lequel tout agrégat historique
constitue une absurdité. SORMAN tombe
à pieds joints dans ce piège.
Intégrer les idéaux de mai 68, pour SOR-
MAN, c'est injecter le cosmopolitisme
dans les moeurs. C'est prendre acte
du Testament de Dieu en économie,
comme B. H. LEVY et Guy SCARPETTA
(Eloge du cosmopolitisme, Grasset, 1981)
l'ont fait en littérature : même horreur
des racines, même goût pour le brassage
des hommes et des marchandises. Hélas
quand on prend les vingt mets les plus
délicieux et qu'on les mélange, on n'obtient
qu'un infâme brouet.
Se passer d'une classe politique désuète :
bonne idée '. A la classe politique qui
asseyait son pouvoir sur des discours
(creux) idéologiques et moralisants, reli-
gieux et hypocrites, ne saurait succéder
la "nouvelle race" sans perspective d'ave-
nir, incapable de raisonner à long terme.
A la classe politico-idéologique succédera
une classe politique d'ingénieurs qui
substitueront la ^ compétence ^ et la pro-
duction à la spéculation et à la publici-
té et d'historiens qui opposeront la luxurian-
te diversité de l'histoire, le sens du long
terme, aux slogans faciles et aux "testa-
ments de Dieu" froids et arides. Il y
aura "lutte de types" et la "nouvelle
race" sormanienne s'évanouira comme
un mauvais souvenir le jour d'une fête.
Enfin, l'approximatif et le hâtif sorma-
niens se révèlent à la page 150 de La
solution libérale, où SCHUMPETER est
entrevu comme un théoricien précurseur
du néo-libéralisme. C'est classer le grand
économiste autrichien un peu vite. Pour
SCHUMPETER, la lutte des classes pro-
vient précisément de la haine que susci-
tent les spéculateurs chez les "types"
humains enracinés. Thorstein VEBLEN,
sociologue américano-norvégien du début
de ce siècle, a repris cette thèse en
valorisant le rôle de l'ingénieur par rap-
port à la "classe des loisirs" (leisure
class), vivant du fruit de ses spécula-
tions.
10
Portrait d'Adam Smith ,
père fondateur du libéra-
lisme et théologien recyclé .
Tout son système , réputé
matérialiste , se fonde
en réalité sur les derniers
vestiges de la théologie
chrétienne médiévale .
Si le fondement de l'écono-
mie est V égoïsme , aucune
solidarité sociale et
politique n'est possible .
Autre grosse lacune de La solution libéra-
le : trop de références américaines. L'Amé-
rique n'est pas l'Europe. L'économie
européenne n'a pas besoin d'une solu-
tion américaine mais d'une solution auto-
chtone, tenant compte de notre continui-
té historique. Au fond, il n'y a pas de
"solution libérale", il y a un rêve, une
chimère libérale dont se passent aisément
les peuples éveillés.
M.F.
Guy SORMAN, La solution libérale, Paris,
Fayard, 1984, 285 p., 74 FF.
\AAAAIVVVVVVVVVVVVV\
RECIPROCITE GENERALE ET n BONNE
ECONOMIE KOLM RECIDIVE !
Quel est le meilleur système économique
et social possible ? Vieille question.
Si un livre affirme y répondre, c'est
peut-être une raison de ne pas le lire,
de le ranger parmi les innombrables
traités ennuyeux et banals qui n'ont
jamais eu d'impact. Mais quand l'inclassa-
ble Serge-Christophe KOLM tente d'y
répondre, avec l'appui de ses thèses
surprenantes, on s'empressera d' ingurgiter
le volume avec avidité. KOLM a des
formules sobres et inactuelles: "La bonne
société est faite d'hommes bons". La
bonté, écrit-il, c'est de mettre en avant
l'altruisme, la solidarité volontaire.
Pour ce professeur français, à la fois
économiste et philosophe, la formule
d'avenir, c'est "Ni Plan ni Marché (du
moins comme système principal): la Réci-
procité". La situation naturelle des hom-
mes, c'est de s'entraider et de se soutenir
mutuellement. Basées sur une philosophie
individualiste, les économies de Plan
et de Marché créent, selon KOLM, des
relations sociales exploitrices et aliénan-
tes, divisant et opposant les hommes
au lieu de les unir. Les dominations,
les jalousies, les concurrences et les
craintes que ces systèmes engendrent,
ZINOVIEV (Cf. ORIENTATIONS n°l et
VOULOIR n°7) les a parfaitement décrites
dans son Communisme comme réalité.
Un ouvrage à lire parallèlement à celui
de KOLM. La Bonne Economie, c'est
donc celle de la Réciprocité générale.
KOLM explique, dans les 472 pages de
son ouvrage que la Réciprocité a de
l'avenir, grâce à la transformation du
travail (qui ne signifie pas la disparition
du travail). KOLM veut concilier bien-
être et progrès, éthique et efficacité,
performance industrielle et justice socia-
le.
La réalisation concrète d'une économie
de Réciprocité passe par la diffusion
d'une information maximale. Et "informa-
tion" postule une connaissance approfon-
die du mental humain, de ses faibles-
ses et de ses possibles. "Même dans
son état actuel, la science de l'homme
est une mine scandaleusement inexploitée
de savoirs factuels et analytiques utiles,
nécessaires ou indispensables pour connaî-
tre les possibles sociaux et comprendre,
ou réaliser les transformations des socié-
tés" (p. 237). Un usage efficace des scien-
ces et des connaissances factuelles laissées
en jachère se heurte, écrit KOLM, à
trois scandales. Le premier, c'est l'indigen-
ce intellectuelle de toutes les idéologies
politiques actuelles par rapport à ce
que la connaissance sociale permet de
dire. Les exemples sont multiples pour
toutes obédiences. Cela est lié à l'impor-
tance des fonctions psychosociales de
type religieux des idéologies par rapport
à celle de leur rôle cognitif. Le slogan,
ou la justification simpliste lui ressem-
blant, y est plus prisé que l'analyse objecti-
ve, pondérée, élaborée. L'émotion, l'élan
commun, y ont plus d'attrait que la raison,
quoi qu'elles en disent. L'adhésion est
prise avec pieu de connaissances, et celles-
ci sont alors tirées et modelées pour
obéir aux pré-supposés, (pp. 237-238).
Le second scandale, c'est la sous-optimi-
sation. Cela signifie que les spécialistes
d'un domaine, qui proposent des innova-
tions utiles, ne le font qu'en tenant
compte des seuls critères de leur discipli-
ne. Le résultat n'est, faut-il le dire,
jamais optimal.
Le troisième scandale est la négligence
de l'étude des sociétés possibles par
rapport à celle des sociétés réalisées
(présentes ou passées). En effet, aucune
idéologie dominante ne semble admettre
que le monde n'a réalisé qu'une petite
partie de ses possibles.
Nos sociétés sont une énigme, écrit
KOLM, car toutes les grandes morales
religieuses ou laïques préconisent l'al-
truisme, le don, la charité, la compassion
et condamnent l'égoïsme avec une belle
unanimité. Pourquoi alors ces morales
qui donnent leurs normes à des milliards
d'individus, échouent-elles à ce point
à les réaliser ? Pourquoi, dans une culture
dominée, dans ses valeurs, par l'altruisme,
sentiments et comportements égoïstes
et processus sociaux d'échanges et de
force qui en découlent sont largement
plus répandus que les sentiments et com-
portements altruistes ?
Avant tout, nous sommes fascinés par
l'idée -erronée selon KOLM- que l'al-
truisme ne permet pas une économie
productive. L'altruisme a dès lors été
oublié des théoriciens, pour lesquels
seul l'égoïsme est productif. La faute
en incombe aux pères de l'économie
libérale classique : MANDEVILLE (auteur
de La Fable des Abeilles) et Adam SMITH
(De la Richesse des Nations). Ces pères
fondateurs du libéralisme estimaient
que les égoïsmes, en cherchant leur
satisfaction, engendraient le bien public,
le bien-être généralisé. Adam SMITH
était théologien au début de sa carrière
et croyait, de ce fait, au péché originel.
Mais, même s'il y a péché originel, s'il
existe le mal et les égoïsmes, Dieu préside
l'univers et veut le Bien. Donc le "mal"
en tant que fait non réfutable, sert,
en fin de compte, le "bien" qui est attri-
but de Dieu, créateur et fondement
ultime du monde. Ce schéma théologique
et moral a été transposé dans la théorie
économique.
Pour KOLM, c'est parce que nous traî-
nons, comme les bagnards leurs boulets,
ce curieux mélange théologico-économique
que nos sociétés ne parviennent pas
à maîtriser la modernité. Les faits nou-
veaux, les cultures qui sont étrangères
à ce schéma nous opposent des "informa-
tions" qui ne cadrent pas avec le sim-
plisme bibliste sur lequel SMITH a basé
son système.
Le système de SMITH est anorganique.
Celui de KOLM veut restituer l'organi-
cisme. Mais ce nouveau livre d'espoir
que nous offre KOLM manque de données
historiques. Il y a pourtant un filon "orga-
nique" depuis la fin du XVIIIème siècle,
filon tantôt conservateur et nostalgique
tantôt socialiste et révolutionnaire. L'An-
glais Raymond WILLIAMS, professeur
a Oxford puis à Cambridge, avait publié
en 1958, un livre devenu "grand classi-
que" outre-Manche, intitulé Culture and
Society 1780-1950, où il nous montrait
le télescopage de la nostalgie conserva-
trice d'un BURKE, triste que la Merry
Old England ait dû céder la pas à la
grisaille, aux noirs corons de la civili-
sation industrielle, et du messianisme
d'un Robert OWEN, qui voulait extraire
la classe ouvrière anglaise de l'uniformité
industrielle et la ramener vers un monde
plus fraternel. Des précurseurs de l'al-
truisme de KOLM ?
KOLM met entre parenthèses cette aspira-
tion deux fois centenaire de tous les
Européens. Des projets de "société frater-
nelle", de phalenstères, de "communauté",
de "mouvements de jeunesse", etc. ont
enrichi toute l'histoire des idées sociales
d'Europe. Voilà bien des "sociétés possi-
bles" à étudier, des désirs à transposer
dans le réel.
Notre tâche, à nous, membres de diver-
ses sociétés de pensée : coupler la théorie
actuelle de KOLM, en prise sur les socié-
tés bouddhiques qui fonctionnent (Cf.
son livre Le Bonheur-Liberté, Bouddhisme
profond et modernité, PUF, 1982), à
l'histoire diversifiée et chatoyante des
"alternatives organiques", où la pensée
romantique et post-romantique allemande
COMMUNIQUE
11
11
La carte L'Europe des Ethnies ou les
régions d'un Empire est la première
publication du Groupe O.R.P.H.E.E. Elle
est destinée à accompagner un ouvrage
qui paraîtra prochainement . Ce livre,
qui constituera donc le commentaire
de cette carte, sera divisé en deux parties:
la première, consacrée à la nécessité
de l'unification européenne , présentera
les raisons géopolitiques et historiques
qui justifient la création d'un Etat euro-
péen; la seconde passera en revue les
diverses régions qui composent l'Europe
et mettre en évidence, pour chacune
d'entre elles, les éléments ethniques
et culturels qui ont présidé à sa création
et à son évolution.
Unité et diversité de l'Europe ; tels sont
donc les deux critères qui nous ont guidé
dans l'élaboration de la carte que nous
présentons aujourd'hui.
UNITE EUROPEENNE : Comme l'indique
clairement le Sous-titre Les Régions
d'un Empire, il ne s'agit ici nullement
d'une Europe atomisée en une centaine
d'Etats indépendants, mais bien d'une
Europe unifiée dont chaque région ethni-
que serait une province. Il était essen-
tiel pour nous de dessiner non seulement
les frontières de l’Europe mais aussi
de représenter les limites internes réelles
de notre continent : en effet, c'était
la façon la plus claire de signifier, dans
notre projet, la disparition des Etats-
Nations traditionnels. Issus du partage
illégitime de Verdun, ces derniers ne
nous ont apporté que ruines et malheurs,
et ont brisé la tradition impériale qui,
de l'Empire Gréco-Macédonien au Saint-
Empire, en passant par l'Empire Romain
et l'Empire Carolingien, a fondé la véri-
table grandeur historique de l'Europe.
En outre , nous affirmons qu'une confédéra-
tion européenne qui laisserait subsister
des Etats-Nations intermédiaires entre
l'Europe et ses provinces serait inviable,
car il n'y a pas d'exemple dans l'Histoire
de fédération réussie englobant des Etats
fédérés proportionnellement aussi vastes
que la France ou l'Allemagne par rapport
à l'Europe. Seule une fédération européen-
ne à deux niveaux , sans intermédiaire
entre l'Etat central et les Régions, n' hypo-
théquerait pas l'avenir de notre conti-
nent.
DIVERSITE EUROPEENNE : Le projet
envisagé ici est celui d'une Europe consti-
tuée de 100 Régions et de 385 Sous-
Régions. Comme cela est indiqué dans
la Légende, les noms de régions sauf
l'Hellade correspondent tous à une sous-
région homonyme (par exemple : la région
"Flandre" est composée de trois sous-
régions : "Flandre" proprement dite, "Bra-
bant" et "Limbourg").
Le titre de notre carte, L'Europe des
Ethnies , indique bien que ce projet de
redécoupage territorial de l’Europe repose
sur des bases ethniques. La notion d'ethnie
est une notion complexe ; les critères
qui définissent tel ou tel groupe ethnique
peuvent être soit linguistiques soit histo-
riques. Le choix d'un de ces critères
étant parfois difficile, certaines limites
régionales proposées ici pourraient varier
selon le point de vue choisi.
Deux autres critères ont également prési-
dé à l'élaboration de cette carte : d’une
part, le rejet du processus d'ethnocide
perpétré à l’encontre des ethnies régiona-
les par les Etats-Nations jacobins, depuis
leur création jusqu'à nos jours ; d'autre
part, la volonté d'en revenir à la situa-
tion ethnique de l’Europe antérieure
aux deux Guerres Mondiales et de récla-
mer le retour des "minorités" expulsées "
de leurs régions, par la violence ou par
des traités iniques, de 1915 à nos jours.
Un tel projet peut paraître grandiose,
voire utopique ; mais notre objectif n'est
pas d’indiquer ici les moyens de réaliser
cette Idée : il s'agit plutôt de suggérer
une vision cohérente de l'Europe et de
ses composantes. Trop nombreux sont
ceux qui parlent de l'Europe dans l'abstrait
sans jamais en proposer une représenta-
tion graphique. A l'heure où les super-
puissances se partagent le monde, il
faut que tous ceux qui pensent réellement
sur notre continent fournissent des armes
intellectuelles à ceux qui voudront créer
un Etat européen unifié et puissant.
Il faut que nos enfants puissent dire,
à l'aube du XXIème siècle : "Nous n'avons
qu'une patrie, qui s’appelle l'Europe".
Pour toute demande de renseignements
ou commande, écrire à :
GROUPE O.R.P.H.E.E. (= Organisme
de Recherche Pour une Histoire de l'Euro-
pe des Ethnies),
Voie de l'Ardenne, 101,
B-4920 CHAUDFONTAINE.
Prix de la carte : 200 FB.
Les commandes peuvent également être
transmises au SERVICE LIBRAIRIE de
VOULOIR.
SERVICE LIBRAIRIE
KOLM RECIDIVE...(suite)
et sa notion de "Volk" (Cf. Thierry MUDRY
in ORIENTATIONS n°5) ont toute leur
place...
V.G.
Serge-Christophe KOLM, La bonne écono-
mie. La Réciprocité générale, Paris,
PUF, 1984, 472 p., 150 FF.
#NAAAAA^VVVVVVVVVVVV\
Ont participé à la rédaction de ce numéro
de VOULOIR : Jean E. van der TAELEN
(Président d'E.R.O.E.), Jason HADJIDINAS
(Recteur de l'Université d'Athènes), Pierre
KREBS (Fondateur du Thule-Seminar),
Ange SAM PI ER U (E.R.O.E.-Paris), Berthrand
EECKHOUDT, Caspar von SCHRENCK-
NOTZING (directeur de la revue Criticon
de Munich), Serge HERREMANS, Michel
FROISSARD, Vincent GOETHALS.
L'article sur la neutralité annoncé dans
notre numéro précédent paraîtra dans
le numéro 11 qui sera expédié début janvier.
Parmi les prochains thèmes que nous
aborderons : l'affaire de la Grenade, la
biopolitique, le problème des élites, Les
idées sociales et politiques d'André Leysen,
etc.
Notre SERVICE LIBRAIRIE, en cette
fin d'année, vous suggère plusieurs nouvel-
les publications. Vous ne sauriez vous
en passer. Passez-nous commande au
plus vite. Nos stocks sont limités 1
1. L'Occident comme déclin. Par Guillau-
me FAYE. Le Labyrinthe, 85 p., 280FB/
15 DM.
L'Occident ne souffre pas d'un déclin.
Il est le déclin. FAYE inverse ici SPENG-
LER. Sept chapitres ponctuent sa démon-
stration. L'Occident, en tant que Cosmopo-
lis, est un non-lieu, écrit-il. L'Occident
n'est plus européen et l'Europe n'est
plus l'Occident. L'Occident s'est défiguré
en Amérique, en Californie. C'est aujour-
d'hui la Californie qui est l'épicentre,
l'essence de l'Occident. Pour nous, Euro-
péens, il n'est plus que "quelque chose"
de planétaire, sans racines et sans épais-
seur. L'idéologie occidentale est une
idéologie de la fin. Elle a poussé sa logi-
que "monothéiste" jusqu'au bout. Ayant
éliminé les "dieux", c'est-à-dire la diver-
sité des possibles, cette idéologie ne
peut plus satisfaire que les peureux.
Les aventuriers, les curieux, que nous
sommes, doivent annoncer le retour
d'un "polythéisme" des valeurs, un "poly-
théisme" débarrassé des absolus stérélisa-
teurs.
"Christopolis", l'Occident n'est même
plus "chrétien", au sens de la religiosité
naïve de nos peuples, celle des saints
et des rites, figures et gestes finalement
païens. "Christopolis" est athée, "Christo-
polis" est désenchantée, "Christopolis"
est la cité des idées mortes.
"Antipolis", l'Occident entérine la fin
du politique. Si le monde est supposé
devenir une Super-Californie, où se cô-
toyeraient sectaires de tous acabits,
homos, citoyens d'écotopia, que faire
alors du "sérieux" de la cité, où passe
alors ce sel du monde et de l'histoire :
le conflit ? L'évacuation du conflit,
c'est la "mort tiède".
Eradiquer le conflit, c'est instaurer le
règne du déclin : le déclin de l' ici-bas
donc le déclin de la Vie.
Cette fin est entrevue par FAYE comme
destin, comme destin proprement occiden-
tal. Dans ce sens, l’expansion de ce monde
sans conflits est l'expansion de l'Occident
donc du déclin.
Mais ce déclin recèle son contraire ;
dans la phase obscure, dans le désert
des vouloirs, un appel naîtra. L'histoire
se regénérera. Il faut la préfigurer.
2. Etudes et Recherches n°3. G.R.E.C.E.,
81 p., 280 FB / 15 DM.
Dans ce numéro abordant des thèmes
très divers, vous trouverez un texte
de Pierre MAUGUE sur les éléments
indo-européens et celtiques présents
dans la légende qui illustre la fondation
de la Suisse actuelle. Robert de HERTE
étudie Goethe et la "préhistoire du roman-
tisme". Il souligne ce que la personnali-
té de Goethe a retenu du romantisme
et ce qu'elle en a rejeté. Patrick RIZZI
et Michel DEJUS nous présentent le
culte hispanique du taureau depuis la
préhistoire jusqu'à nos jours. Anne JOBERT,
dans un article titré "Science et Progrès",
Supplément bibliographique mensuel à
la revue ORIENTATIONS.
N°10 NOVEMBRE 1984.
Prix: 50FB-7FF-2FS-2,50DM-1800Lire-
1,25 $ Canadien.
pour s’abonner
tente de redéfinir le débat sur la notion
de "progrès". Pour elle, le progrès scientifi-
que ne peut être ramené à une accumula-
tion de données. Le réel est polyphonique,
évolutif mais toujours mystérieux: on
peut penser le progrès sans finalisme,
la causalité sans déterminisme, un chaos
du monde sans loi et sans arbitraire.
Robert STEUCKERS y brosse une biogra-
phie de Henri DE MAN, le grand penseur
socialiste anversois qui souligna les insuffi-
sances du marxisme dès 1926 sans renier
son combat socialiste. Guillaume FAYE
parle des "nouveaux territoires du politi-
que". LE politique n'est plus dans LA
politique qui se contente de gérer mala-
droitement l'inessentiel. LA politique,
dans ses mécanismes, est le fruit de
nécessités propres aux XVIIIème et XlXè-
me siècles. Il revient donc à l'imagina-
tion, aux débats d'idées, aux oeuvres
d'art (cinéma, bande dessinée,...) de
réinventer un véritable espace DU politi-
que ou de l'annoncer, de l'incruster dans
les cerveaux. Enfin, Alain de BENOIST
répond à Guillaume FAYE, auteur de
la brochure Sexe et Idéologie. Il apporte
à cette plaquette controversée un éven-
tail de critiques, puisées aux sources
des grandes philosophies et sociologies
de ce domaine: Blüher, Evola, Schelsky.
3. Nouvelle Ecole n°41, Littérature et
Idéologie 2, 144 p. (DIN.A4), 420 FB/
22 DM.
ment. Les deux textes de FREUND et
de FAYE sont indispensables à l'étudiant
en sciences-po'. Les lire, c'est presque
acquérir autant de savoir qu'en quatre
ou cinq ans d'études. C'est se doter,
en tout cas, d'un savoir extraordinairement
qualitatif. Enfin, Philippe BAILLET,
traducteur attitré d'EVOLA en France
et grand spécialiste des religiosités orienta-
les, bouddhiques et islamiques, analyse
l'oeuvre de Serge-Christophe KOLM et
nous explique l'intérêt du bouddhisme
pour la création d'une économie de la
solidarité et de la réciprocité.
4. Le Retour d'Hermès. De la science
au sacré. Par Anne JOBERT. Le Labyrin-
the, 82 p., 280 FB/ 15 DM.
La querelle entre sciences et religion
cache une querelle plus fondamentale :
celle qui oppose la religiosité du vieux
monde européen aux dualismes stéréli-
sants. Celle qui oppose le MYTHOS au
LOGOS. Qui oppose le sacré profond
au naturalisme superficiel. Anne JOBERT
évoque la "physis" grecque et le "dévoile-
ment" heideggerien, qu'elle oppose à
la raison législatrice. Un essai brillant
qui se situe résolument dans la voie
tracée par le grand Stéphane LUPASCO.
AUTRES TITRES DISPONIBLES
L'abonnement à VOULOIR coûte 350
francs belges à verser au compte BBL
n°3 1 0-0049870-01 de Robert Steuckers.
Pour la France, les paiements s'effectuent
par mandats postaux internationaux exclusi-
vement. Pour l'Allemagne, la Suisse et
l'Italie, par mandats-postaux ou par euro-
chèques.
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à la fois à la revue et à Robert Steuckers.
L'abonnement donne droit à 12 numéros
de VOULOIR. Ce supplément à la revue
ORIENTATIONS paraîtra dix fois par
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Notre adresse:
ORIENTATIONS/
E.R.O.E.-E.K.S.O.,
BPB n°4 1 ,
B-1970 WEZEMBEEK-OPPEM.
Editeur responsable : Robert Steuckers,
BPB n°4l, B-1970 Wezembeek-Oppem.
Ce numéro 41 de Nouvelle Ecole, intitu-
lé Littérature et Idéologie 2, est le second
tome d'une large fresque qui nous révèle
les interactions multiples des lettres
et des idées, de l'intuition créatrice
et des réalités politiques. C'est Denys
MAGNE qui se taille la part du lion
dans ce dossier avec une étude volumineu-
se sur Thomas MANN, écrivain allemand
aux prises avec les "contraires" du Ilème
Reich, de Weimar, de la Germanie hitlé-
rienne et de la RFA américanisée. MAGNE
insiste notamment et sur l'anti-nazisme
de MANN et sur son hostilité à l’américa-
nophilie d'ADENAUER. Aux yeux du
plus important prosateur allemand de
ce siècle, la RDA est demeurée plus
purement germanique. Etonnante option,
si l'on se souvient que MANN avait approu-
vé les bombardements anglo-saxons contre
les cités allemandes Un personnage
plein de contradictions, celles de notre
siècle, que Nouvelle Ecole nous fait
découvrir. Jean ROBIN nous présente
René GUENON, le plus "traditionaliste",
au sens religieux, des penseurs européens
du XXème siècle. Patrick SIMON nous
évoque MERLEAU-PONTY dont l'oeuvre
s'axe sur deux choses/valeurs : le regard
et la chair. Pour SIMON, MERLEAU-
PONTY retrouve cette philosophie non
dualiste et implicite à l'Europe "matriciel-
le" (Ureuropa i), philosophie qui privilé-
gie la sensualité, la texture du visible.
Julien FREUND, l'auteur de cet irrempla-
çable livre, L'Essence du Politique, nous
offre un texte de très haute valeur,
un texte qui deviendra à coup sûr un
grand classique de politologie: "Que veut
dire : prendre une decision ?". La décision
est, au-delà de la morale, des bonnes
intentions et des idéologies, ce qui fonde
le politique. Guillaume FAYE, quant
à lui, nous livre le nec plus ultra de
sa philosophie personnelle. Il nous promène
dans le labyrinthe initiatique qu'est cette
"problématique moderne de la raison".
La querelle de la rationalité est en effet
l'enjeu de tous les discours politologiques
de ce siècle. C'est sur la base de cette
problématique qu'en dernière instance,
les idéologies se fondent, les décisions
se prennent, consciemment ou înconsciem-
La cause des peuples, actes du XVème
colloque national
du
G.R.E.C.E., 210
FB / 11 DM.
Guillaume FAYE,
La
Nouvelle
Société
de Consommation,
210
FB /
11 DM.
Piet TOMMISSEN,
Anti-totalitair
Denken
in Frankrijk (met
"Wat
is en
wat wil
de "Nouvelle Droite"?"), Eclectica, Brussel,
159 blz., 450 BF + 30 BF (port), 23 DM
+ 1,50 DM (Postgebühren).
Dietsland Europa, 1984-8/9, Willem de
Zwijger, Antwerpen, 64 p., 130 FB +
20 FB (port), 7 DM + 1 DM (Postgebühren).
Walter BRIJS, Willem van Oranje (1533-
1584), 52 p., 100 FB + 20 FB (port),
5 DM + 1 DM (Postgebühren).
Zannekin Jaarboek 6, 144 blz. (met bijdra-
gen van Dr. R. Van Roosbroeck, Dr.
F. Gorissen, Dr. W. van Heutgen, enz.),
450 FB + 30 FB (port) / 23 DM + 1,50
DM (Postgebühren).
Maurits CAILLIAU, Het Walenland en
de Nederlanden, 32 p., 100 FB + 20 FB
(port), 5 DM + 1 DM (Postgebühren).
Julius EVOLA, L'Arc et la Massue, 277
pages, 620 FB + 30 FB (port), 31 DM
+ 1,50 DM (Postgebühren).
Julius EVOLA, Les Hommes au milieu
des ruines, 282 pages, 600 FB + 30 FB
(port), 30 DM + 1,50 DM (Postgebühren).
Le numéro cinq
cf 'ORIENTA TIONS:
150 F B.